La fonction symbolique serait en rapport avec la question de la Loi du père, c’est-à-dire de ce qui vient faire tiers entre la mère et l’enfant.
Cette interposition signifiante entre l’objet et le sujet est représentative de ce qui est justement appelé fonction symbolique. Le besoin primitif et archaïque de reconstituer la Totalité avec l’objet, à l’image de ce qui était vécu in utero, est en effet incompatible avec la vie psychique représentative.
Cette vie psychique représentative n’est possible que dans l’écart, la fente, l’espace entre la mère et l’enfant.
Le premier acte attestant de la nécessité vitale de la fonction symbolique pour exister (et d’ailleurs exister veut dire étymologiquement être placé à l’extérieur !) est représentée par la coupure du cordon ombilical qui suit immédiatement la naissance. Au moment de la scission, l’enfant, séparé de la mère, ne constitue plus avec elle un Tout et la coupure ombilicale permet l’ouverture des alvéoles pulmonaires permettant l’apparition du premier cri.
La coupure du cordon permet le premier inspir, le premier souffle, le premier cri. C’est le pneuma identifié par toutes les cultures traditionnelles comme le moment de l’arrivée de l’âme dans le corps humain.
Un deuxième élément particulièrement significatif et représentatif de la fonction symbolique est l’apparition du langage qui vient lui aussi assurer un environnement de symboles venant s’interposer entre l’enfant et sa mère.
C’est pourquoi le langage est considéré comme le système symbolique par excellence au même titre que la fonction paternelle. Ce sont deux systèmes majeurs d’interposition signifiante.
Il en reste d’autres, constitutifs de la vie sociale que Claude Lévi-Strauss dans son Anthropologie structurale définit comme « un ensemble de systèmes symboliques au premier rang desquels se placent le langage, les règles matrimoniales, les rapports économiques, l’art, la science, la religion ».
Donc intégrer la Loi du père revient à assumer la fonction symbolique qui permet l’accès à la maturation psychologique. L’acceptation de la Loi du père, l’intégration de la fonction symbolique, tout cela représente un ensemble de faits psychique ouvrant véritablement à la capacité de symbolisation.
Et cette ouverture va impliquer le fonctionnement d’une structure psychique toute particulière appelée Préconscient.
Et cela nous intéresse au plus haut point car, en effet, pouvoir véritablement symboliser, c’est s’assurer de la constitution d’un Préconscient en état de marche.
Le Préconscient est une structure intermédiaire entre l’Inconscient proprement dit et le Conscient.
Il contient des éléments inconscients, certes, mais pouvant devenir conscient. Ce sont des éléments qui peuvent accéder à la conscience mais qui ne sont pas là, dans l’instant t, quand on pense à autre chose.
Cette structure du Préconscient est fondamentale par rapport au problème qui nous intéresse. En effet il représente un pont entre l’Inconscient et le Conscient, c’est lui qui a pour mission de transposer, sans cesse, les images, figures et représentations de choses en représentations de mots.
C’est cette transcription qui est nommée fonction de symbolisation. Et c’est cette fonction de symbolisation qui est rendue possible par une autre fonction appelée fonction Symbolique ou fonction paternelle ou Loi.
Mais en quoi la fonction symbolique est-elle liée au Préconscient ?
Le Préconscient est un système d’interposition, une sorte de système tampon, entre l’Inconscient et le Conscient, comme le père s’interpose entre la mère et l’enfant.
Le Préconscient permet la retranscription réciproque de deux types de langage.
En effet le langage primitif des images, figures, symboles et représentations de choses de l’Inconscient peut se transposer dans le langage proprement dit des représentations de mots.
Ainsi la Totalité dans l’Inconscient, reflet de la Totalité du monde, pourra être transcrite dans la Totalité du Langage humain.
Le VOIR du Tout du monde en images sera le SAVOIR du Tout du monde en mots.
Certains, comme Bion ont particulièrement théorisé sur cette question. Bion a pu parler de barrière de contact à propos de cette fonction du Préconscient et il a particulièrement travaillé son rôle dans l’intégration psychique des éléments vécus.
Il a ainsi défini des éléments α et des éléments β dans le psychisme. L’intégration se faisant toujours par les éléments α.
Les éléments liés au vécu peuvent par la distanciation, le non-attachement, la disponibilité d’esprit, la dessaisie, prendre la forme d’imagerie mentale, à l’identique de ce qui se passe lors du travail du rêve, et ainsi devenir des éléments α assimilables et intégrables qui pourront être à disposition du Conscient.
Les éléments α intégrables permettent une élaboration par le mental comme les éléments assimilables de la digestion peuvent être utilisés par le corps.
L’intégration ne se fait jamais directement par le biais des représentations de mots.
Les représentations de mots demeurent des éléments β non intégrables au sens de Bion.
Quand on vit une situation traumatique ou un conflit, il faut assumer le trou…ble sans s’attacher aux représentations de mots et laisser ainsi advenir, comme dans une sorte de rêve, les représentations de choses, les images mentales, les symboles qui seront véritablement réparateurs dès leur retranscription par le Préconscient au Conscient.
C’est ce que font les mythes, légendes, fables et éléments du folklore, des traumatismes collectifs passés dans les différentes cultures.
Ceci s’explique par le fait que le moi profond se constitue, au tout début de la vie, dans la proximité au monde maternel, un monde fait d’images comme on a pu le voir plus haut.
Le moi doit s’émanciper et se développer, il doit gagner son autonomie en conquérant les fonctions intellectuelles permettant la rationalité et la logique. Il fait cela dans l’écart et la séparation d’avec le monde maternel.
Mais il le fait dans une séparation relative parce qu’il est fondamental que l’enfant en développement, qui va de l’avant, sente néanmoins la présence rassurante de sa mère.
Il ne peut faire de telles avancées qu’à la condition expresse qu’il se sente fondamentalement rassuré.
L’enfant qui découvre la marche ne peut explorer le monde que pour autant qu’il se sente sous le regard maternel, qu’il se sente en vue de sa mère.
S’il se sent soudain abandonné son désir de découverte du monde va s’effondrer.
C’est pourquoi un traumatisme dans le réel propulse tout sujet, inconsciemment, dans un sentiment profond de défaillance de l’objet primaire, c’est-à-dire de l’objet maternel.
Et c’est pourquoi il faut amener du maternel, du « contenant », du rassurant à ses sujets pour leur permettre de reprendre confiance dans la vie et ainsi de retrouver leur dynamisme.
Nous comprenons ainsi que la clef d’un développement psychique harmonieux implique en arrière fond la présence deux images parentales de bonne qualité.
Une image maternelle toujours bienveillante au fond de notre Psyché et une image paternelle structurante permettant d’aller de l’avant et de passer sans cesse du connu à l’inconnu.
Heidegger parle à ce propos de la capacité de « désabriter » à partir du terme grec aletheia « ouvert et sans retrait » caractérisant la notion de vérité.
Il est aussi fondamental d’alimenter le Préconscient en symboles afin de le renforcer, de le rendre plus puissant, plus performant dans sa mission de faire passerelle entre les deux mondes et de nous rendre accessible la profondeur, la richesse, et l’adaptabilité infinie de notre Inconscient.
—
Écrits en rapport :
– Symbolisation et soin psychique.
– La conscience dans sa dimension d’opposition Conscient/Inconscient.
– Le langage selon Sigmund Freud.
– Trou…ble et risque de réponse en faux-self ou réponse aliénée.
– De la liaison des représentations.
– Manquements à la Loi et « trous » dans le champ des signifiants.