Nous allons évoquer à ce point du discours la figure de Chiron. Chiron le Centaure, le guérisseur, le pédagogue, le thérapeute, celui qui harmonise le ciel et la terre, la nature divine et la nature animale.
Étymologiquement Chiron signifie main qui guérit.
Un Centaure donc, mi-homme mi-cheval, mais un Centaure dont la partie supérieure humaine, ou divine selon la métaphore, contrôle parfaitement la nature inférieure, corporelle, animale également selon la métaphore.
Mais il s’agit de contrôle jamais de reniement de la partie inférieure ou animale.
Et c’est ce contrôle « parfait » de la partie animale qui fait sortir Chiron de la catégorie brutale, pulsionnelle et violente des autres Centaures, qui eux, pour le coup, ne maîtrisent pas le moins du monde leur partie animale.
On peut même énoncer que Chiron sortant de la catégorie des personnes sans contrôle sur elles-mêmes devient par là-même un Chevalier.
Chiron est le fils de Saturne et nous savons que Saturne, le Chronos grec, représente le symbole même des limites.
Et nous n’oublions pas, quand nous parlons du travail de sublimation effectué par Chiron, le signe zodiacal du Sagittaire, qui montre Chiron le Centaure, décocher une flèche vers le ciel.
Le sens du combat, dorénavant, n’est plus celui de la vengeance, de la haine, du conflit, du meurtre, mais assurément celui de l’atteinte du Ciel, donc de « l’idéal ».
Chiron décoche la flèche sagitta qui signifie savoir et sagesse.
Et Chiron le sage qui décoche la flèche dont la cible est la Connaissance évoque pour nous la déesse Athèna en personne qui sort du crâne de Zeus toute armée et qui symbolise également que, dès lors, la Connaissance est le but ultime.
Elle deviendra la déesse de la sagesse.
Mais reprenons le mythe de Chiron, et il ne s’agit plus là du Chiron thérapeute, du sage, mais du Chiron porteur d’une blessure inguérissable.
Peut-être, lui-aussi, va-t-il nous montrer le chemin.
Chiron est immortel mais tout immortel qu’il est, il porte une blessure inguérissable.
Cette blessure inguérissable est due à une flèche d’Héraklès enduite du terrible poison que constitue le sang même de l’hydre de Lerne.
Chiron a été blessé lors d’une bataille opposant Héraklès et les Centaures, mais il faut préciser que Chiron est du côté de son ami Héraklès.
Chiron lutte contre ceux qui sont dominés par leur nature animale.
Au cours du combat Chiron est blessé malencontreusement par Héraklès au genou.
On sait que l’hydre de Lerne est un animal fabuleux avec un corps de chien ou de serpent et des têtes qui repoussent constamment lorsqu’elles sont sectionnées.
Certains y ont vu une métaphore de l’attachement, de l’avidité et du retour obsédant des désirs.
D’autres y ont décelé une allusion à une faute initiale, une sorte de péché originel, et d’autres encore y ont vu la pulsion de mort.
Les conceptions philosophiques asiatiques insistent sur les traces ou agrégats qui déterminent une nouvelle incarnation.
Le mot karma des Védas signifie littéralement « ce qui fait revenir ».
Nous retrouvons dans la Grèce antique, notamment, de multiples facettes de cette conception puisqu’elle est liée à l’entité linguistique et culturelle définie sous le label de « monde indo-européen » par, entre autres, Georges Dumézil.
Et en Grèce, effectivement, on retrouve la « Juste rétribution » ou justice divine, la « Diké », on a les Moires qui correspondent aux Parques romaines et qui filent inlassablement le fil de la destinée en fonction des mérites.
Et les philosophes grecs présocratiques, notamment Pythagore et Empédocle, et peut-être aussi Héraclite, évoquent fréquemment quelque chose de l’ordre de cette thématique.
Et Platon lui-même nous décrit dans des pages inoubliables du Phèdre ou du « mythe d’Er » de La République le retour des âmes sur Terre.
Mais si l’on refuse cet ordre d’interprétation de l’herméneutique on peut considérer la question sur le plan d’une origine génétique au sens élargi de « ce qui détermine ».
Freud nomme ces phénomènes de « fantasmes originaires » et Jung de « traces archétypales », d’autres ont évoqué un aspect transgénérationnel avec des traumatismes se répercutant de génération en génération.
Au bout du compte et en tout état de cause on peut interpréter ces phénomènes retrouvés en philologie et dire que la blessure inguérissable de Chiron serait liée à la renaissance sempiternelle des désirs obscurs de la pulsion de mort.
Ainsi l’immortalité de Chiron serait en fait le retour incessant et éternel de cette pulsion destructrice.
Chiron, le thérapeute, est donc un éternel souffrant et il demande à être délivré de son immortalité, ou du moins selon l’interprétation, de sa pulsion de mort qui renaît sans cesse, comme les têtes de l’hydre de Lerne.
Et cela lui sera accordé par Zeus.
En effet en échange de la libération de Prométhée, celui-là même qui est enchaîné sur le mont Caucase, Chiron perdra son immortalité mais sera placé au Ciel par Zeus.
Il sera donc immortalisé en la constellation du Sagittaire.
En renonçant au retour éternel de la pulsion de mort il est immortalisé.
Prométhée représente le Titan qui s’est impliqué en faveur de l’homme, il lui a apporté le feu.
Ce feu de la métallurgie qui a permis l’âge de bronze et avec lui les armes de bronze, fléau de l’humanité.
Pour Zeus c’était à l’homme lui-même de découvrir le feu, mais le feu intérieur, le feu de l’âme.
Au lieu de cela Prométhée a livré à l’humain le feu du Ciel, feu indu, feu illégitime, qui dans ses mains impies est devenu le feu destructeur du serpent.
Prométhée incarne ainsi la volonté de toute-puissance de l’homme, son désir pervers d’assujettir et l’autre et la nature, son esprit de rébellion contre la volonté de Zeus, contre la justice.
Et dans cette démesure prométhéenne, humaine, est à l’œuvre certainement quelque chose de l’ordre de cette pulsion de mort dont il est question.
Le renoncement à cette pulsion de mort est ce qui libère tout à la fois et Chiron et Prométhée et l’homme.
Et notre aigle qui ne cesse de dévorer, le jour, le foie de Prométhée régénéré la nuit, figure certainement la punition, l’atteinte de cet organe qui symbolise justement et la colère, et le fiel, et l’animosité.
Ainsi c’est la méditation de Chiron sur ce retour sans fin des attachements de désir et de la pulsion de mort, qui en est la conséquence, qui a fait de Chiron le célèbre thérapeute, le fameux pédagogue et le sage sublime qu’il est devenu.
Et c’est sa rencontre avec Prométhée, celui qui incarne l’intellect au service de la satisfaction sans fin des besoins, qui a permis la résolution pour ne pas dire la liquidation de l’enchaînement ou de l’aliénation et de l’un et de l’autre.
Pingback:Plan général - Psyché et Amour
[…] De la blessure « mortelle » de Chiron le centaure guérisseur. […]
Pingback:De la genèse de la pulsion de mort. - Psyché et Amour
[…] – De la blessure « mortelle » de Chiron le centaure guérisseur. […]
Pingback:Prométhée ou le faux-pas de l’intellect. - Psyché et Amour
[…] – De la blessure « mortelle » de Chiron le centaure. […]
Pingback:Le karma ou ce qui fait revenir. - Psyché et Amour
[…] – De la blessure « mortelle » de Chiron le centaure guérisseur. […]
Pingback:Loi et fantasmes originaires. - Psyché et Amour
[…] – De la blessure « mortelle » de Chiron le centaure guérisseur. […]
Pingback:Valses mortelles des pulsions de vie et de mort. - Psyché et Amour
[…] – De la blessure mortelle de Chiron le centaure guérisseur. […]