La violence se moque du respect donc de l’ « altérité » de l’autre.
La violence ainsi posée nous ramène à une notion plus fondamentale impliquant un mouvement dont le but est la maîtrise d’un objet dans le réel.
En effet l’étymologie du mot violence, avec violentus « violent » et violare « faire violence », nous renvoie au signifiant « vie » et la vie, chez le vivant, implique les mouvements nécessaires à la satisfaction des besoins vitaux.
Mais les pulsions de vie, qui assurent l’autoconservation du sujet agissant, impliquent aussi la mort pour l’objet qui subit.
On voit là l’articulation, la dialectique, entre pulsion de vie et pulsion de mort.
La pulsion de vie est centrifuge dans son essence, c’est-à-dire qu’elle implique un mouvement allant de l’intérieur vers l’extérieur, et a contrario la pulsion de mort est centripète, désignant un mouvement qui, parti de l’extérieur, fait irruption vers l’intérieur, amenant la destruction.
La violence chez le vivant nous ramène donc aux aspects définis plus haut quant à la question du mouvement, et donc de l’action, dans la perspective de la satisfaction des besoins pulsionnels.
Là, violence rime avec pulsions, lois naturelles, lois biologiques.
La violence est donc représentée par tous les mouvements et actions agissant sur le réel dans le but de la satisfaction des pulsions d’autoconservation, et visant à assurer la subsistance, la descendance, et la défense.
Ce sont les pulsions de vie.
Chez l’homme on retrouve la dialectique pulsion de vie – pulsion de mort avec cependant quelques nuances.
Dans le monde animal, grosso-modo, la pulsion de vie est du côté de l’acteur ou de l’effecteur et la pulsion de mort « touche » en quelque sorte l’objet passif donc en l’occurrence la victime.
La dialectique pulsion de vie – pulsion de mort coïncide avec celle d’actif – passif, prédateur – proie.
Chez l’homme la pulsion de vie reste également liée à la question des objets à saisir dans le réel pour la satisfaction des besoins qu’ils soient vitaux ou non.
Mais la pulsion de vie se fonde surtout sur le sentiment, la conviction intime, d’amour de la vie, d’amour de sa vie et de celle des siens.
Se fonder authentiquement dans la pulsion de vie, choisir fondamentalement la vie, c’est avoir pu capitaliser suffisamment d’expériences gratifiantes notamment à l’orée de sa vie.
Un nourrisson suffisamment aimé, soigné, choyé va constituer ce que l’on appelle dans le jargon « le bon objet interne » ce qui très, schématiquement, va lui faire choisir la vie psychique (Vie) à la mort psychique (mort).
Mais si les mauvaises expériences l’emportent sur les bonnes il y a fort à parier qu’au lieu de s’orienter et de s’organiser dans le sens de la pulsion de vie, l’individu peut dès lors choisir de s’aventurer dans les voies de la pulsion de mort.
« Si ceux-là même qui m’ont donné la vie ne m’aiment pas, comment pourrai-je m’aimer ?,… autant disparaître ».
Mais la pulsion de mort est toujours une pulsion difficile à actualiser pour soi-même, il est toujours plus facile de l’exporter ou de la projeter sur autrui.
« Ayant fondamentalement choisi la mort mais ne pouvant en assumer les conséquences pour moi-même je préfère transférer cela sur autrui ».
Donc à ce stade, la pulsion de mort vécu directement débouche sur tout ce qui est du registre de l’auto-agressivité avec, au premier plan, le suicide et les conduites suicidaires mais aussi toutes les conduites masochistes d’altération, de dégradation, d’automutilation des plans corporels et psychiques.
La pulsion de mort vécu indirectement est du registre de toutes les souffrances imposées à autrui.
Cela est évidemment schématique et même si globalement la pulsion de vie l’emporte, néanmoins la pulsion de mort est toujours plus ou moins là, plus ou moins forte, chez tout un chacun, tapis dans l’ombre, à attendre son heure.
Il y a, pour tout être humain, suffisamment d’insatisfactions dans les premières années de vie pour constituer, pour forger la pulsion de mort.
L’Histoire n’est qu’une longue suite de violences.
Cette violence est toujours liée à la pulsion de vie, prendre à l’extérieur du groupe, du clan, de la tribu, de la nation ce qui est nécessaire à la survie ou au bien-être de ceux qui sont reconnus comme « siens ». Pour mémoire se rappeler simplement la notion de pangermanisme !
La pulsion de mort, sa sœur jumelle, implique qu’elle soit canalisée, exclusivement orientée vers l’extérieur, l’étranger, l’ennemi de la patrie ou de la nation.
Ce mouvement-là de concentration, d’organisation de l’agressivité et de la violence vers l’extérieur, l’étranger, l’ennemi, est à l’origine de toute la succession des guerres et barbaries que l’humanité connaît depuis ses origines.
Le schéma est univoque le Bien est là avec nous, le Mal est extérieur, il doit être détruit !
Ce qui est vrai pour les nations est vrai pour les idéologies ; le « Bien » est dans l’Eglise, le Mal, le diable, l’erreur, résident dans l’hérésie, le Bien est dans la dictature du prolétariat, le Mal du côté des ennemis de la Révolution et donc des révisionnistes, le « Bien » est du côté du monde dit libre, et le Mal de l’autre côté du rideau de fer !
Si la pulsion de mort, reliquat de toutes les insatisfactions, doit pouvoir s’exprimer ailleurs, à l’extérieur, sur le « mal » étranger, sur l’ennemi, sur « l’autre », elle ne peut par contre en aucun cas s’exercer à l’intérieur du groupe, du clan, de la nation et cet interdit fondamental est lié à l’émergence des lois humaines.
Si cela se produit, si la pulsion de mort s’exerce à l’intérieur, c’est ou le fait d’une transgression punissable ou bien justement le fait de l’exercice de la justice qui punit cette transgression.
On vient de voir que la question de la violence dans les sociétés humaines est indissociable de la question de la Loi.
L’intégration de la Loi implique le contrôle, la retenue avec le siens et le devoir d’exercice de la violence à l’extérieur en cas de guerre.
Donc la Loi implique l’organisation des pulsions et leur subordination à des formes socialement acceptables, ce qui va culminer dans la notion de civilisation.
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