Et en effet quelle peut être la signification d’Orion chassant avec Artémis ?
Pourquoi l’activité de chasse est-elle, à ce point, mise en exergue ?
L’interprétation évidente, au vue du contexte et de ce qui est suggéré, pourrait être que le fait de chasser, en ce qui concerne Orion en tout cas, est en rapport avec une activité sexuelle frénétique.
Et le fait qu’il chasse avec Artémis, dont on sait qu’elle était entourée de vierges ayant renoncé peu ou prou à la sexualité, dont on sait également que les conflits prévalents qu’elle eut avec Orion étaient en lien avec des épisodes de séduction envers elle-même ou envers ses protégées, nous conforte indirectement dans cette hypothèse.
Indirectement, car l’Artémis de ce moment-là, qui apparaît dans les mythes de cette époque-là, est en correspondance avec une Artémis récente presque classique et qui n’a rien à voir avec une Artémis beaucoup plus ancienne, beaucoup plus archaïque, et qui, elle, correspondrait plutôt à l’Artémis d’Ephèse, déesse de la fertilité, déesse de la prostitution sacrée, déesse de la promotion du désir sexuel au service de la reproduction.
Il semble donc que les mythes mettant en scène Orion correspondent de fait à des périodes différentes et l’Artémis rencontrée dans ces mythes est devenue l’exact contraire de l’Artémis archaïque, Artémis d’Ephèse.
Ainsi l’activité sexuelle d’Orion avec Artémis et ses protégées correspond à une époque ancienne au cours de laquelle la sexualité était très investie. Mais dans les mythes plus tardifs il y a une sorte de renversement des valeurs, d’inversion, et Artémis ne correspond plus à la déesse orientale mais à la déesse d’une période bien plus postérieure.
La déesse qui symbolisait l’importance de la sexualité est devenue le contraire soit une déesse qui incarne la virginité et pour ses suivantes, pour un temps du moins, le renoncement à la vie sexuelle.
La vierge divinisée de l’époque grecque classique ou presque ne correspond plus à la déesse des temps anciens qui personnifiait l’aspect sauvage de la nature dans toute son exubérance.
Et en tant que déesse de la fertilité elle se devait d’encourager la conception et l’enfantement.
Elle n’apparaît à aucun moment comme une divinité du mariage, rôle plutôt dévolu à Héra, mais plutôt comme une divinité de l’amour physique, se confondant en cela avec Aphrodite, et ses temples étaient consacrés à la défloration et à la prostitution sacrée.
On disait d’elle qu’elle se livrait à l’amour sans retenue, ou que hors de son palais elle se promenait nue ainsi que ses suivantes.
Et cette nudité représentait bien sûr cette dimension érotique et sexuelle mais aussi un aspect bien plus profond, bien plus abstrait, la vérité.
Aletheia, le mot grec pour vérité, signifie littéralement « ce qui n’est pas caché », ce qui est nu, ce qui n’est pas voilé.
Et donc ce corps féminin, qu’incarne la divinité, représente à la fois la femme désirable, véritable Objet du Désir, mais aussi la porte de la connaissance, la vérité, l’Objet de la Connaissance !
Et lorsqu’elle vue nue par Actéon, le chasseur, qui se promène avec ses chiens, il est dit classiquement dans les mythes que ce dernier fut « transformé en cerf » et dévoré par ses chiens qui ne le reconnaissaient plus.
Mais l’expression populaire « être transformé en cerf » ou se « déguiser en cerf » fait référence à l’obtention d’une forte érection.
Et là les interprétations divergent selon la nature de l’Artémis en question.
Est-elle la vierge farouche qui devient folle de rage d’être surprise nue par un homme qui manifeste à ce point son désir et qui doit impérativement, de ce fait, payer de sa vie, en étant déchiqueté par ses chiens, un tel outrage, une telle atteinte à sa divinité, un tel manque de respect ?
Ou bien est-ce l’Artémis qui initie les jeunes filles non mariées à la vie sexuelle et, dans ce contexte-là, Actéon représente simplement l’homme, le chasseur, prêt à honorer la déesse ?
Certains ont même pu imaginer que la colère de l’Artémis initiatrice, formatrice, était lié au fait qu’Actéon n’avait pas pu honorer la déesse du fait de la culpabilité, et des chiens intérieurs de l’inhibition et des interdits.
On assiste bien, une fois de plus, à un renversement interprétatif du mythe où l’interprétation donnée, convenue, claire nette et précise, s’avère à l’analyse signifier tout le contraire.
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