Le mot violence est construit à partir du vocable viol qui, pour le Larousse, a pour signification ; acte de pénétration sexuelle commis sur autrui par violence, contrainte, menace ou surprise…
Le deuxième sens est représenté par l’action de transgresser une loi, une règle, ou un ordre quelconque.
Nous avons déjà là affaire à quelques signifiants fondamentaux qui éclairent singulièrement la question de la violence.
La violence est un mouvement qui part d’un sujet vers un objet. La violence est action.
Le Larousse définit ce terme comme ayant le caractère de ce qui se manifeste, se produit ou produit ses effets, avec une force intense, extrême et brutale.
Pour le Robert la violence se définit comme l’abus de la force.
Faire violence c’est agir sur quelqu’un ou le faire agir contre sa volonté en employant la force ou l’intimidation.
Faire violence à quelqu’un c’est le contraindre en le brutalisant ou en l’opprimant.
Se faire violence revient à s’imposer une attitude contraire à celle qu’on aurait spontanément.
Les définitions ainsi données centrent la question de l’activité, de la kinesthésie dans le sens de la possession, de l’abus, de l’utilisation d’une personne sans le consentement de cette dernière.
La violence se moque du respect donc de l’altérité de l’autre.
La violence ainsi posée nous ramène à une notion plus fondamentale impliquant un mouvement dont le but est la maîtrise d’un objet dans le réel.
En effet l’étymologie du mot violence, avec violentus « violent » et violare « faire violence », ainsi que la sonorité du signifiant « vie » nous amènent à considérer l’importance des mouvements nécessaires à la satisfaction des besoins vitaux
Mais les pulsions de vie, qui assurent l’autoconservation du sujet agissant, impliquent aussi la mort pour l’objet qui subit.
On voit là l’articulation, la dialectique, entre pulsion de vie et pulsion de mort.
La pulsion de vie (poursuivre pour dévorer) se coule dans la pulsion de mort (tuer pour vivre).
La pulsion de vie/pulsion de mort est centrifuge dans son essence, c’est-à-dire qu’elle implique un mouvement allant de l’intérieur vers l’extérieur. Mais, et a contrario, la pulsion de mort du prédateur devient, pour la proie, pour la victime, un mouvement qui, parti de l’extérieur, fait irruption vers l’intérieur, pour la blesser, pour la tuer.
La violence chez le vivant nous ramène donc aux aspects définis plus haut quant à la question du mouvement, et donc de l’action, dans la perspective de la satisfaction des besoins vitaux.
Là, la violence rime avec pulsions, lois naturelles, lois biologiques.
La violence est donc représentée par tous les mouvements et actions agissant sur le réel dans le but de la satisfaction des pulsions d’autoconservation, et visant à assurer la subsistance, la descendance, et la défense.
Ce sont les pulsions de vie/pulsions de mort.
Chez l’homme on retrouve la dialectique pulsion de vie – pulsion de mort avec cependant quelques nuances.
La pulsion de vie demeure également liée à la question des objets à saisir dans le réel pour la satisfaction des besoins qu’ils soient vitaux ou non.
Mais la pulsion de vie se fonde surtout sur le sentiment, la conviction intime, d’amour de la vie, d’amour de sa vie et de celle des siens.
Se fonder authentiquement dans la pulsion de vie, choisir fondamentalement la vie, c’est avoir pu capitaliser suffisamment d’expériences gratifiantes notamment à l’orée de sa vie.
Un nourrisson suffisamment aimé, soigné, choyé va constituer ce que l’on appelle dans le jargon « le bon objet interne » ce qui très, schématiquement, va lui faire choisir la vie psychique (Vie) à la mort psychique (mort).
Mais si les mauvaises expériences l’emportent sur les bonnes il y a fort à parier qu’au lieu de s’orienter et de s’organiser dans le sens de la pulsion de vie, l’individu peut dès lors choisir de s’aventurer dans les voies de la pulsion de mort.
Il prend à son propre compte le deuxième volet de la pulsion de vie / pulsion de mort que nous avons énoncé à propos de l’animal et il inverse le mouvement, c’est-à-dire que l’extérieur n’est plus le but pulsionnel.
« Si ceux-là même qui m’ont donné la vie ne m’aiment pas, comment pourrai-je m’aimer ?,… autant disparaître ».
Mais la pulsion de mort est toujours une pulsion difficile à actualiser pour soi-même, il est toujours plus facile de l’exporter ou de la projeter sur autrui.
« Ayant fondamentalement choisi la mort mais ne pouvant en assumer les conséquences pour moi-même je préfère transférer cela sur autrui ».
Donc à ce stade, la pulsion de mort vécu directement débouche sur tout ce qui est du registre de l’auto-agressivité avec, au premier plan, le suicide et les conduites suicidaires mais aussi toutes les conduites masochistes d’altération, de dégradation, d’automutilation des plans corporels et psychiques.
Mais la pulsion de mort non assumée comme telle, la pulsion de mort projetée sur l’autre et donc vécu inconsciemment ou indirectement va alimenter le registre de toutes les souffrances imposées à autrui.
Cela est évidemment schématique et même si globalement la pulsion de vie l’emporte, néanmoins la pulsion de mort est toujours plus ou moins là, plus ou moins forte, chez tout un chacun, tapis dans l’ombre, à attendre son heure.
Il y a, pour tout être humain, suffisamment d’insatisfactions dans les premières années de vie pour constituer, pour forger la pulsion de mort.
Mais il faut noter que la pulsion de mort individuelle peut, à certains moments de l’Histoire, intégrer le courant d’une pulsion de mort qui deviendrait collective.
Et d’ailleurs en période de guerre il est habituellement constaté une baisse des suicides et comportements suicidaires.
La pulsion de mort est de toute évidence dirigée vers l’extérieur.
Et l’Histoire, justement, n’est qu’une suite ininterrompue de violences.
Cette violence est toujours liée à la pulsion de vie, prendre à l’extérieur du groupe, du clan, de la tribu, de la nation ce qui est nécessaire à la survie ou au bien-être de ceux qui sont reconnus comme « siens ». Pour mémoire se rappeler simplement la notion de pangermanisme !
La pulsion de mort, sa sœur jumelle, implique qu’elle soit canalisée, exclusivement orientée vers l’extérieur, l’étranger, l’ennemi de la patrie ou de la nation.
Oui, ce mouvement-là de concentration, d’organisation de l’agressivité et de la violence vers l’extérieur, l’étranger, l’ennemi, est à l’origine de toute la succession des guerres et barbaries que l’humanité connaît depuis ses origines.
Le schéma est univoque le Bien est là avec nous, le Mal est extérieur, il doit être détruit !
Ce qui est vrai pour les nations est vrai pour les idéologies ; le « Bien » est dans l’Eglise, le Mal, le diable, l’erreur, résident dans l’hérésie, le Bien est dans la dictature du prolétariat, le Mal du côté des ennemis de la Révolution et donc des révisionnistes, le « Bien » est du côté du monde dit libre, et le Mal de l’autre côté du rideau de fer !
Si la pulsion de mort, reliquat de toutes les insatisfactions, doit pouvoir s’exprimer ailleurs, à l’extérieur, sur le « mal » étranger, sur l’ennemi, sur « l’autre », elle ne peut par contre en aucun cas s’exercer à l’intérieur du groupe, du clan, de la nation et cet interdit fondamental est lié à l’émergence des lois humaines.
Si cela se produit, si la pulsion de mort s’exerce à l’intérieur, c’est ou le fait d’une transgression punissable ou bien justement le fait de l’exercice de la justice qui punit cette transgression.
On vient de voir que la question de la violence dans les sociétés humaines est indissociable de la question de la Loi.
L’intégration de la Loi implique le contrôle, la retenue avec le siens et le devoir d’exercice de la violence à l’extérieur en cas de guerre.
Donc la Loi implique l’organisation des pulsions et leur subordination à des formes socialement acceptables, ce qui va culminer dans la notion de civilisation.
Nous avons vu précédemment que la Loi est ce qui interdit l’exercice de la violence au sein d’une même entité humaine. L’agressivité détournée ne peut s’exprimer que sur un ailleurs diabolisé.
Et, en effet, comme il a été dit précédemment, en temps de guerre les taux de suicide et d’homicide, à l’intérieur, sont toujours au plus bas.
Le concept de Loi transcende à la fois les aspects exogènes et endogènes.
A la loi extérieure garantie par les états, fait pendant une Loi interne liée à l’organisation psychique.
Cette Loi interne, qui coïncide en partie avec la notion de Surmoi, est ce qui permet à l’individu d’assurer son individuation psychique, c’est-à-dire son propre processus d’autonomisation et de différenciation psychologique.
Cette fonction, essentielle, est ce qui permet d’accéder à la spécificité de son mode d’être avec les capacités d’expression et d’affirmation que cela implique.
Cette fonction est coextensive à la notion d’accès à la réalité de son être et du monde. Cette fonction fonde le sentiment d’adéquation entre le monde et le sujet.
Enfin elle est corrélative de la subordination de toutes les pulsions partielles sous le primat de la génitalité adulte.
Car, c’est à ce prix, que masochisme et sadisme sont véritablement intégrés, arrimés, à la sexualité et ne vont pas s’émanciper avec les dégâts internes ou externes que l’on peut imaginer.
Ce processus implique, dans la genèse de l’évolution de l’enfant, une bonne mère dévouée et disponible à son enfant, surtout dans les premières années de vie, et une bonne image paternelle assurant la rupture de la dyade mère-enfant par la fonction d’interposition ou triangulation.
Ce processus implique donc un bon couple mère-père révélant à l’enfant, comme une sorte de miroir magique, le chemin de son « self », la vérité de soi-même, l’altérité de l’autre.
Ce processus, également connu sous le nom de fonction symbolique, est ce qui permet d’accéder à la reconnaissance, au respect, à l’amour de soi comme de l’autre.
Il semblerait que la synthèse du couple pulsion de vie – pulsion de mort et surtout la sublimationde la pulsion de mort, avec tout ce qu’elle peut comporter de destructeur, se réaliserait dans le processus même de penser.
En effet la fonction réflexive, avec ce qu’elle implique d’accès au Principe de réalité et d’accès à la fonction symbolique, permet la sublimation de la pulsion de mort dès lors que la destructivité fondamentale ne concerne plus des êtres ou des choses dans le réel mais bien les représentations d’êtres et de choses dans la vie psychique.
Dès lors le jeu pulsionnelle et le jeu destructeur, Eros et Thanatos enfin réconciliés, conjuguent leurs effets dans la créativité de l’esprit, créativité de l’esprit qui implique sans cesse la capacité de se défaire, de « tuer » une représentation, ou un système de représentations.
Et c’est cette capacité à « laisser mourir » une représentation ou un groupe de représentations pour pouvoir passer à une autre ou à un autre qui caractérise justement ce que l’on appelle la capacité à penser.
Cette voie, cette réduction, du meurtre imaginaire au « meurtre » symbolique, et de ce dernier au « meurtre » de la représentation ou de l’idée semble se révéler particulièrement dans l’Antiquité gréco-romaine avec l’irruption de la dimension dionysiaque de l’existence.
Dimension dionysiaque de l’existence qui va peu à peu se mêler, s’intriquer, s’amalgamer, à une autre modalité tout aussi fondamentale de conception de la vie qui est l’aspect apollinien de l’existence.
—
Écrits en rapport :
– De l’écartèlement des hommes entre Éros et Thanatos.
– De la descendance de Prométhée ou Deucalion et la race de pierre.
– Orion ou le changement de paradigme.
– Où Psyché n’est « réalisée » qu’unie à Amour.
– La Titanomachie ou la guerre entre conscience fragmentée et conscience unifiée.
– De la genèse de la pulsion de mort.
– Pulsion de mort et psychosomatique.