En guise d’introduction nous nous laisserons guider par les axes de réflexion fournis par le Robert quant à la question du silence.
« Silence » est un mot dérivé du latin silentium qui définit l’attitude d’une personne qui reste sans parler, sans exprimer son opinion, sans répondre, qui se refuse à divulguer ce qui est secret, qui ne veut ou ne peut s’exprimer.
Il en ressort que le silence est une recherche lorsqu’il correspond à une attitude volontaire tandis que sous-tendu par une incapacité d’expression il renvoie à la pathologie et donc en l’occurrence à ce que recouvre le terme de mutisme.
La recherche du silence peut correspondre à la locution proverbiale : La parole est d’argent et le silence est d’or.
Ce qui renvoie à deux enrichissements de nature bien différentes !
L’un évoque la richesse en termes de biens de ce monde (l’argent), l’autre évoque la richesse intérieure, l’or psychique des alchimistes ou des psychanalystes.
Le silence est encore ce que chacun garde sur sa vie intérieure, il correspond là à ce qu’il y a de plus intime en nous et qui est de l’ordre du jardin secret.
Et quand on parle du secret on ne peut qu’évoquer la loi du silence que s’imposent les membres de certaines associations qu’elles soient mafieuses ou philanthropiques.
La loi du silence non librement consentie renvoie, quant à elle, à la condamnation au silence, à la réduction au silence et à tous les aspects liberticides.
Nous sommes là dans le registre du meurtre symbolique.
Mais le silence évoque aussi, par la fameuse minute, quelque chose de l’ordre de la suspension, de l’arrêt, de la mort. C’est l’hommage que l’on rend aux morts en demeurant debout, immobile et silencieux.
Et un silence profond et absolu, est bien un silence de mort !
Ce qui serai de l’ordre du dit, de l’expressif, de l’affirmatif, évoquerai quelque chose de l’ordre de la vie.
Et ce qui serai de l’ordre du non-dit, de la non-expression, de la non-affirmation suggèrerai quelque chose de l’ordre de la mort.
Enfin le silence qualifie l’absence de bruit, d’agitation, l’état d’un lieu où aucun son n’est perceptible.
Pour Jean Jacques Stiker le « silence apparaît comme le point zéro à partir duquel s’inaugure tout langage ».
Mais qu’est-ce que le langage ?
D’une manière générale le langage est défini comme représentant la faculté qu’ont les hommes de communiquer entre eux et d’exprimer leur pensée au moyen de signes vocaux qui peuvent être éventuellement transcrits au moyen de l’écriture.
Le langage est encore le contenu même de la communication.
Il représente également d’autres modes de transmission de l’information comme ceux rencontrés chez certains animaux.
Enfin il est la manière de s’exprimer au moyen de signes ou de symboles comme, par exemple, dans le langage mathématique.
La langue quant à elle est définie comme un système de signes verbaux, propres à une communauté humaine ou à un groupe social, c’est ce que l’on appelle une communauté linguistique.
Le terme langage recouvre donc deux notions bien distinctes :
Ce qui est de l’ordre de la communication, au moyen de le langue, activité purement humaine et qui est l’objet d’étude de la linguistique.
Ce qui est de l’ordre des transmissions d’informations non verbales et que l’on peut appeler communications non linguistiques.
Ces communications non linguistiques peuvent être le propre de l’homme comme par exemple les activités de signalisation, de symbolisation, de mimique et de gestuelle. Mais elles peuvent être également animales comme les systèmes de passation d’information ayant pour fonction essentielle la survie de l’individu ou du groupe ou encore la fonction d’opérer certaines régulations d’ordre physiologique ou sociale.
Que la communication soit d’ordre linguistique ou non, on retrouve, à la base de tout transfert d’information la notion de signe.
Qu’il soit verbal ou phonique, dans le cas de la langue, sonore, mimique ou gestuel, dans le cas des communications non linguistiques, le signe est partout présent.
Ce qui spécifie le langage est donc l’omniprésence du signe.
Le langage est donc signification et communication.
Chez l’humain il recouvre essentiellement trois types de fonction :
Le langage comme faculté d’expression c’est-à-dire comme la possibilité pour l’être humain de traduire en termes communicables à l’autre ses pensées, ses émotions et ses désirs (valeur centrifuge du langage).
Le langage comme fonction de cognition représente la capacité offerte au sujet de connaître, d’appréhender la réalité à partir de la communication avec autrui (valeur centripète).
Enfin le langage comme facteur d’action représente sa capacité à modifier autrui puisque le mot peut influencer, calmer ou exciter l’autre.
En ce qui concerne le langage comme fonction de cognition, nous ne pouvons que constater que le développement du langage et de la faculté de se représenter le monde apparaissent comme indissociables, à tel point qu’il semble vain de chercher à objectiver les aspects spécifiques de l’un comme de l’autre.
Le langage comme système d’expression symbolique (au sens restreint du terme) demeure le pilier essentiel de la fonction de penser. Le langage est en effet liaison d’une représentation mentale du monde avec un signe sonore et souvent un signe graphique associé.
Ainsi le langage est capacité à se représenter le monde et à communiquer à l’autre cette représentation.
Nous avons évoqué tout à l’heure le langage en tant que système d’expression symbolique, il convient à ce stade de définir certains concepts tels que le symbole et peut-être aussi définir ce que nous entendons par symbolique.
Qu’est-ce que le symbole ?
Pour le Larousse, le symbole est la représentation « imagée, figurée, concrète, d’une notion abstraite ».
Pour le Robert, il est « ce qui représente autre chose en vertu d’une correspondance analogique » ou encore un « objet ou fait naturel de caractère imagé qui évoque, par sa forme ou sa nature, une association d’idées « naturelles » (dans un groupe social donné) avec quelque chose d’abstrait ou d’absent.
Il est encore un « élément ou énoncé descriptif ou narratif qui est susceptible d’une double interprétation, sur le plan réaliste et sur le plan des idées ».
Il est encore de l’ordre de l’allégorie, de la comparaison, de la figure, de l’image, de la métaphore.
Venant du latin chrétien symbolum il se veut aussi « symbole de reconnaissance ».
Pour Piaget il y a symbolisation dès que le sujet est capable de représenter quelque chose par autre chose.
Pour Freud, « l’essence du symbolisme consiste en un rapport constant entre un élément manifeste et sa ou ses traductions ».
Le symbolisme est dès lors conçu « comme un mode de représentation indirect et figuré d’une idée, d’un conflit ou d’un désir inconscient… En ce sens pour la psychanalyse tout ce qui tient à la symbolique, est de l’ordre de la formation substitutive » (Laplanche et Pontalis : Le vocabulaire de psychanalyse).
Freud situe la naissance des fonctions symboliques au moment où l’enfant devient capable de simuler par le jeu, l’absence ou la présence de la mère. Il formulera cette hypothèse en observant un enfant de 18 mois qui, lançant un objet loin de lui, disait Fort (parti) et qui ramenant cet objet à lui au moyen d’une ficelle, s’écriait Da (voilà). Ainsi l’enfant, tout en maîtrisant le vécu d’abandon lié à l’absence de la mère, inventait le symbole en naissant au langage.
Ainsi le mot devient un signifiant dont la nature n’est que d’être « symbole » d’une absence (Hesnard : De Freud à Lacan).
Ainsi la représentation mentale, le mot, le symbole sont l’évocation même de la chose absente.
Et la fonction symbolique correspond au processus qui permet le passage continu d’une représentation, d’un mot, d’un symbole à un autre.
Autrement dit la fonction symbolique est ce qui permet de se dessaisir d’une représentation mentale pour pouvoir passer à une autre !
La fonction symbolique est donc la fonction qui permet de se représenter mentalement un aspect, une qualité, un élément du monde et de pouvoir rompre avec cette représentation pour pouvoir épouser une autre représentation représentant un autre aspect, une autre qualité, un autre élément du monde.
Cette incessante décantation par succession de symboles, ce processus métaphorique permanent, cette distillation sans fin, ce passage de chose en chose mais en choses de moins en moins choses et de plus en plus abstraites représente véritablement un processus de « dématérialisation », de « dédensification ».
On rejoint là la métaphore maçonnique qui consiste à « dégrossir la pierre brute » !
On rejoint là l’idée du processus alchimique où se qui se transmute en or n’est plus vraiment le métal mais le plomb psychique.
Et dans cette succession-là, par cette respiration incessante, par cette faculté d’abstraction permanente, le sujet est à même d’assurer quelque chose de l’ordre de la vie psychique.
Mais ce jeu-là implique pour être effectif que jamais rien ne soit ajouté à la représentation.
Juste ce qui vient, sans jamais rien ajouter, juste ce qui apparaît sans jamais s’attacher !
Et ce juste là, dans sa simplicité, même représente le leitmotiv des stoïciens.
Et ce juste là, dans sa fonction de rupture, recouvre la notion hegelienne de scepticisme radical.
Il n’y a pas une représentation du monde, qu’elle soit concrète ou abstraite, il n’y a pas un système de représentations du monde qui vaille la peine d’échapper à cette Loi-là !
C’est le prix à payer pour pouvoir véritablement penser, c’est le sacrifice à consentir pour accéder à quelque chose de l’ordre de la Réalité.
Et cette rupture est à chaque fois un véritable déchirement, une façon d’affronter les ténèbres, une occasion d’assumer sa solitude fondamentale, un franchissement du connu à l’inconnu, mais pour pouvoir passer, pour pouvoir dépasser, pour pouvoir assumer quelque chose de l’ordre d’une renaissance.
L’étude des rites initiatiques est éloquente pour nous convaincre de cela.
Penser est à chaque instant la réalisation symbolique du meurtre d’un monde ancien afin d’assurer la naissance symbolique d’un monde nouveau.
Penser, est assumer cette dialectique incessante d’une petite vie faisant suite à une petite mort.
Et seule la permanence de cette suite-là permet d’assumer la réalité de son individualité dans la Réalité du monde.
Et dans cette suite-là, il y a quelque chose de l’ordre du sens.
Mais cette suite des signifiants, pour permettre l’authentique fonction de penser, est corrélative de ce que l’on appelle en psychologie le processus secondaire caractérisant une énergie psychique apparaissant comme liée, s’écoulant de façon contrôlée. Autrement dit les représentations sont investies de manière stable permettant la mentalisation.
Il faut préciser que le processus secondaire est indissociable du principe de réalité.
Nous avons évoqué plus haut, avant de préciser la fonction du langage, cette phrase stipulant que le silence apparaît comme le point zéro à partir duquel s’inaugure tout langage du moins dans son aspect d’expression et de communication.
Dès lors il est impératif de clarifier quelque chose.
Nous avons posé, tout à l’heure, l’extrême proximité existant entre la fonction de se représenter le monde (penser) et la fonction de dire sa représentation du monde.
Pour nous, humain, toute représentation mentale a sa correspondance sonore donc dicible.
On peut même aller jusqu’à dire que toute représentation mentale est déjà virtuellement ou potentiellement sonore.
Dans ces conditions de quoi parle-t-on quand on parle de silence.
Est-ce strictement le silence par absence d’émission sonore significative ou bien est-ce le silence par absence de suites mentales de représentations ?
Bien sûr en dehors de cas strictement pathologiques le silence dont on parle abolit simplement la fonction d’expression ou de mise en mots, mais en aucun cas la fonction de représentation du monde.
Tout cela étant précisé, dès lors, qu’elle est le sens de la fonction du silence ?
Garder le silence veut dire continuer à se représenter le monde, y compris à partir des éléments de représentation reçu de l’autre, mais sans intervenir, sans émettre, sans dire.
Mais si l’on opère une glissade métaphorique silence peut représenter un refus, pathologique ou non, de communiquer avec autrui.
Refuser de communiquer avec autrui c’est refuser l’alternance de paroles signifiants le monde émises et de paroles signifiants le monde reçues.
Là, le silence n’a plus la signification d’une interruption entre deux séquences de « parole », mais la signification de ce qui se passe entre deux séquences de représentations mentales.
La prise de parole est l’expression de ce que l’on pense, le silence tel qu’il vient d’être défini est expérimentation du fait de penser.
Dans l’intimité de son être, le sujet observe la succession, la suite de ses représentations mentales.
Une représentation apparaît, je l’envisage, je la vois disparaître, ou autrement dit elle naît, je la prends avec moi (c’est-à-dire je la comprends) et je la laisse mourir.
Ce silence-là est volontaire et non pathologique, il représente une expérience inobjectivable, une sorte de moment privilégié de présence à soi, de présence au monde. Il n’a rien à voir avec les « faux silences » vrais bavardages incessants avec soi-même.
Le vrai silence (Silence) est une suspension, le vrai silence (Silence) est la terre fertile qui rend la graine (la parole) féconde, le vrai silence (Silence) est une vraie force de communication.
Le Silence rend perceptible l’imperceptible, le Silence permet un souffle nouveau, comme l’inspir rend possible l’expir, comme la vacuité rend possible la plénitude.
Le Silence est une mort qui permet la Vie (vie psychique), seule l’acceptation de ce total « abandon » permet le souffle nouveau, le renouveau de la vie.
Le Silence est la source même de la Vie (vie psychique).
Il est un moment de recueillement et donc d’unification.
Unification salutaire de l’être permettant de penser, unification salutaire de l’être permettant l’accès à la réalité de soi et du monde.
Donc penser est une suite de représentations mentales « non-émises », parler est une suite de représentations mentales « émises ».
À ce point-là on va définir l’émergence d’une représentation mentale qu’elle soit émise ou non comme un « dire ».
Tout « dire » est divergence, tout inter-« dire » est convergence.
Dire le monde, dire la manifestation, dire la création, c’est diverger, c’est mettre « en morceaux ».
Et « interdire » est se maintenir dans le non défini, le non manifesté, le non créé, bref « interdire » c’est resté unifié !
Quand donc « l’inter-dit », c’est-à-dire au sens littéral ce qui est entre ce qui est dit, rejoint-il l’interdit, au sens de ce qui spécifie la transgression ?
Autrement dit qu’est-ce qui fait que ce qui est entre deux « dires » est interdit ?
Peut-être que ce qui est interdit entre deux « dires », c’est le rajout qui fait justement que l’inter-dit n’est plus un silence vrai !
On rejoint là encore l’affirmation stoïcienne qui au fil des siècles n’a cessé de marteler : « juste ce qui vient, juste ce qui t’appartiens ».
Qu’un ajout survienne là où devrait être un vrai silence et la chute est consommée !
Donc le silence vrai est justement ce qui se présente à nous après un dit.
Et ce qui se présente à nous dans cet intervalle, dans cette fente, qui nous appartient absolument, qui est totalement interne, endogène, propre, spécifique, simple, subtil, va conditionner le « dire » suivant.
Entre deux « dits », se produit un phénomène particulier qui implique radicalement notre être profond, notre être entier, ce que les anglo-saxons nomment le « self».
Ce phénomène d’une simplicité indescriptible, d’une rareté époustouflante conditionne « ici et maintenant » l’existence de notre être dans sa réalité individuelle et dans la Réalité du monde.
Ce phénomène simple, rare et subtil, source d’une joie ineffable est ce que véritablement on peut qualifier d’ « expression de notre être ».
Ce phénomène, au sens phénoménologique du terme, « expression de notre être », affirmation de notre désir, est cela même qui nous permet de nous sentir réel.
Une façon de retourner la célèbre phrase de Descartes : « Je pense donc je suis » en : « Je suis donc je pense » !
En conclusion sur la question du silence strict nous pouvons dire que le langage sous-tend le désir d’échanger avec l’autre, le langage est interpénétration avec autrui, il est processus de liaison.
En effet le lien imaginaire, fondamental, archaïque à la mère étant rompu, le cordon coupé, l’enfant est séparé de la mère.
Dans cette distance, dans cette fente, quelque chose doit impérativement être mis en place. Et ce qui va venir combler ce manque, n’est autre que le langage.
Et le langage est un système symbolique, symbolique parce que des signes viennent se mettre en place d’une chose !
Dire le monde à un autre, implique que l’on reconnaisse en préambule que l’on est séparé de cet autre-là. La reconnaissance du fait que l’on est fondamentalement séparé de l’autre est du même ordre que la reconnaissance du silence vrai.
Ne pouvoir accepter d’être séparé passe pour certains par le refus de dire le monde.
Donc renoncer à dire le monde revient à se taire, c’est-à-dire à rester silencieux !
Le mutisme psychotique traduit le refus farouche, radical, de ne pas dire afin de ne pas être séparé. Le mutisme psychotique a pour fonction de maintenir l’illusion de recréer la Totalité (celle d’avant la séparation).
On voit que la question du silence se décline de façon différente suivant le niveau structurel du sujet.
Refus fondamental de la Loi chez le non-sujet psychotique afin de nier la séparation, ce que certains appellent la castration imaginaire ou encore la césure ombilicale, pour être Tout.
Acceptation de la Loi chez le sujet réalisé psychiquement où la fonction du silence à valeur d’unification.
Goethe nous a déjà dit dans Faust que le sage et le fou recherchent presque la même chose.
Mais dans le presque il y a simplement toute la différence du niveau structurel qui fait que l’un est sujet, parce que séparé, et l’autre non.
L’un cherche le silence comme une mort psychique (mort) mais une mort qui garantit la permanence de ce qu’il y avait avant la naissance, avant l’existence (et ex-istence veut dire être placé à l’extérieur) tandis que l’autre recherche le silence comme une mort (Mort) qui donne la vie psychique (Vie).
L’un refusant la petite mort meurt sans fin, l’autre recherchant sans fin la petite mort demeure Vivant !
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