La symbolique, en tout premier lieu, est ce qui repose sur des symboles.
Quant au symbole il renvoie à la représentation imagée, figurée, concrète d’une notion abstraite (Larousse). Ou encore il est « ce qui représente autre chose en vertu d’une correspondance analogique » ou il peut être un « objet ou fait naturel de caractère imagé qui évoque, par sa forme ou sa nature, une association d’idées naturelles (dans un groupe social donné) avec quelque chose d’abstrait ou d’absent (Robert).
Venant du latin chrétien « symbolum » il se veut aussi « symbole de reconnaissance ».
Pour Piaget il y a symbolisation dès qu’un sujet est capable représenter quelque chose par autre chose et pour Freud « l’essence du symbolisme consiste en un rapport constant entre un élément manifeste et sa ou ses traductions ».
Pour la psychanalyse freudienne le symbolisme est conçu « comme un mode de représentation indirect et figuré d’une idée, d’un conflit ou d’un désir inconscient… »
Freud situe la naissance des fonctions de symbolisation au moment où l’enfant devient capable de simuler par le jeu, l’absence ou la présence de la mère.
Pour Sandor Ferenczi notre corps entier fonctionne comme un langage, nous sommes tissés de symboles, il évoque même une cohérence symbolique de l’univers.
N’oublions pas que Ferenczi, brillant disciple de Freud, eut comme continuateurs Balint et Alexander célèbres initiateurs de la médecine dite psychosomatique.
Le symbole nous introduit dans le monde de l’image.
L’image est reflet, cliché, dessin, figure, représentation visuelle.
Image renvoie également à imagerie, imagination en tant que faculté que possède l’esprit de se représenter des images, imaginaire en tant que ce qui n’existe que dans l’imagination.
Le mot image nous propulse aussi dans le monde du rêve et de la succession kaléidoscopique d’images.
Mais l’image est aussi l’imago latine, l’icône, le fantasme, la fantaisie, le fantastique.
En psychanalyse lacanienne l’Imaginaire est l’un des trois registres essentiels que Jacques Lacan met en exergue, dans le champ de la psychanalyse, avec le symbolique et le réel.
Et l’imaginaire, pour lui, est avant tout « ce qui donne des images ».
D’autre part le mot symbolique évoque quelque chose qui n’a pas de valeur en soi, mais qui est significatif d’une intention.
En tant que nom masculin le symbolique définit ce qui est symbolique mais il fait aussi référence au symbolique de Jacques Lacan qui spécifie l’être humain en tant qu’être soumis au langage.
Lacan lui-même très influencé par le courant structuraliste, fait référence à Claude Lévi-Strauss qui dans son Anthropologie structurale définit toute culture « comme un ensemble de systèmes symboliques au premier rang desquels se placent le langage, les règles matrimoniales, les rapports économiques, l’art, la science, la religion ».
A partir de là cette question du symbole nous introduit à la fois dans le champ du figuratif ou de l’imagé d’une part et d’autre part dans celui du signe conventionnel.
Le signe figuratif, l’image, ce qui est vu, est de l’ordre de l’image onirique, mythique ou légendaire.
Le signe conventionnel, quant à lui, renvoie au langage (soit le système par excellence où à tout signifié correspond un signifiant) mais aussi au symbole scientifique ou mathématique.
On désignera aussi avec Jean Chevalier sous le nom de symbolique « l’ensemble des relations et des interprétations afférent à un symbole, la symbolique du feu par exemple, la symbolique de la Kabbale ou celle des Mayas, de l’art roman, etc. ; enfin, l’art d’interpréter les symboles par l’analyse psychologique, par l’ethnologie comparée, par tous les processus et techniques de compréhension qui constituent une véritable herméneutique du symbole. »
C’est bien le projet de Freud lui-même que d’arriver à élaborer toute une herméneutique à propos de toute interprétation symbolique.
Quand on parle d’herméneutique ou de l’art d’interpréter les textes et symboles philosophiques et religieux on croise la notion difficilement contournable de constance.
La constance, c’est-à-dire l’universalité des symboles, nous plonge directement dans l’univers des archétypes jungiens.
La question des archétypes au sens de Jung n’est pas sans rappeler les conceptions de Freud sur les fantasmes originaires en tant que structures fantasmatiques typiques organisant la vie fantasmatique.
Ces structures fantasmatiques seraient universelles et constantes en tant qu’elles constitueraient un patrimoine transmis phylogénétiquement. Mais ces figures peuvent varier selon les époques, les cultures et les individus pour nous amener à la notion d’inconscient non plus collectif mais individuel.
C’est en ce sens que le symbole va pouvoir relier l’universel à l’individuel.
Pour Jung (cité par Chevalier) nous symbolisons justement en permanence afin de représenter « des concepts que nous ne pouvons ni définir, ni comprendre pleinement… » (Cf. Jung in « L’homme et ses symboles »).
Jung (cité par Chevalier) évoque la fonction transcendante de la symbolisation en ce sens qu’elle permet de surmonter et de dépasser des attitudes antagonistes et opposées et d’en effectuer une synthèse à un niveau supérieur (Cf. Jung in « Types psychologiques »).
Si on reprend toute la littérature sur la question du symbole on retrouve les caractéristiques suivantes (cf. Le dictionnaire des symboles et notamment l’introduction de Jean Chevalier) : « …il échappe à toute définition, il réunit les extrêmes dans une même vision, les mots bien qu’indispensables pour en suggérer le ou les sens ne pourront jamais en exprimer toute la valeur, il se livre et s’enfuit, les symboles révèlent en voilant et voilent en révélant, (…) le symbole suppose une rupture de plan, une discontinuité, un passage à un autre ordre.
Le symbole à l’origine est un objet coupé en deux, fragment de céramique, de bois ou de métal. Deux personnes en gardent chacune une partie, en rapprochant les deux parties, ils reconnaîtront plus tard leur lien.
Le symbole sépare et met ensemble, il comporte les deux idées de séparation et de réunion, il évoque une communauté, qui a été divisée et qui peut se reformer…
La finalité du symbole est une prise de conscience de l’être, dans toutes les dimensions du temps et de l’espace, et de sa projection dans l’au-delà…
Le symbole est lié à une expérience totalisante, globale.
La fonction de symbolisation permet à l’homme de créer de façon spontanée et inconsciente des figures permettant d’exprimer l’invisible et l’ineffable.
Le symbole jette des ponts, il réunit des éléments séparés, il relie le ciel et la terre, la matière et l’esprit, la nature et la culture, le réel et le rêve…
La symbolisation est en rapport avec les processus d’intégration personnelle…
Le symbole n’est pas de l’ordre de la logique conceptuelle mais s’inscrit plutôt dans le cadre d’une perception globale. Le symbolisme est pulsion vitale, reconnaissance instinctive ; c’est une expérience du sujet total…
La pensée symbolique révèle une tendance qui lui est commune avec la pensée rationnelle, (…) elle atteste en effet le désir d’unifier la création et d’abolir la multiplicité… »
Pour Henri Corbin (cité par Chevalier) : « le symbole est le chiffre d’un mystère, le seul moyen de dire ce qui ne peut être appréhendé autrement ; il n’est jamais expliqué une fois pour toutes, mais toujours à déchiffrer de nouveau… »
Pour Angèle Kremer-Marietti (article de l’encyclopédie Universalis intitulé Symbolique et où elle cite Hegel et Creuser) : « …le symbole fini tend à représenter l’infini, à formuler l’informulable, à représenter l’irreprésentable, il est la souche, la racine de toute expression et en constitue en même temps le plus haut développement ».
Paul Valéry dans son « Introduction à la méthode de Léonard de Vinci » évoquait la possibilité d’une logique imaginative capable d’être « le lieu central de toutes les fusions » dans tous les domaines de l’art, de la philosophie et des sciences (Raymond Abellio citant Paul Valéry dans l’introduction du livre de D. Verney intitulé : « L’astrologie et la science du psychisme).
Pour Lacarrière Jacques le symbole lie le passé et le futur, les origines et les fins dernières…
Une fois accompli ce tour d’horizon général de la question du symbolique via le symbole, l’image et l’imaginaire, reprenons la question où nous l’avons laissé avec l’imaginaire de Jacques Lacan.
Je rappelle que l’imaginaire de Jacques Lacan représente avec le symbolique et le réel un des trois piliers essentiels du champ psychanalytique.
L’imaginaire où ce qui est propre à générer des images représente la modalité d’être au monde la plus primitive, la plus archaïque qui soit.
C’est une relation marquée du sceau du visuel, et qui sous-tend le besoin absolu de se fondre à l’objet, de fusionner à l’autre, de reconstituer la Totalité primitive anténatale.
A ce stade de développement il ne peut y avoir bien sûr qu’un seul objet et cet objet c’est la mère.
C’est là toute la question de la libido.
La libido part de ce mouvement fondamental de l’être nouveau au monde ; de se lier, de refaire un , de refaire corps avec l’objet donc avec la mère.
Le besoin premier est donc de refaire un Tout avec elle, de recréer en quelque sorte le lien ombilical.
Ce premier besoin coïncide immédiatement avec le besoin d’incorporer la mère (c’est le stade oral).
Puis de maîtriser la possibilité de la garder ou de la rejeter (c’est le stade anal).
Puis de la posséder phalliquement (c’est le stade phallique).
Tous ces stades représentent des modalités prégénitales et auto-érotiques de satisfaction, elles sont liées à la question du narcissisme.
Le dernier stade est insolite parce qu’il représente l’intégration des précédents, parce qu’il n’est plus auto-érotique, parce qu’il est lié à l’intégration de la Loi, c’est-à-dire qu’il est la marque même du renoncement à posséder la mère.
Ce dernier stade est lié à la résolution du complexe d’Œdipe, il est ce que l’on appelle le stade génital.
Cette évolution de la libido est concomitante de l’apparition d’une modalité particulière de plaisir et d’un processus d’organisation structuration de la personnalité.
Elle suit et elle est la marque du processus d’individuation maturation.
Ce qui est fondamental pour bien comprendre l’importance de la question symbolique c’est de réaliser que le stade authentique de génitalisation, stade de maturation psychologique s’il en est, est la porte de l’accès à l’unité de la personne, à la conscience de la réalité du monde comme de soi-même.
Si cela semble évident au premier abord il demeure que ce stade de génitalisation, concept freudien par excellence, est rarement atteint authentiquement dans la réalité clinique. Et quand il l’est, s’il l’est, il correspond à certaines descriptions coïncidant par exemple à l’or psychique des alchimistes, à la sagesse des antiques, au self de Winnicott, au Soi de Jung etc.
En fait de nombreux déterminismes psychiques liés à l’histoire, à la famille, à la personne risquent de retenir l’individu en deçà du stade fondamental de la génitalisation.
Ces déterminismes psychologiques inconscients, liés à un mode de fonctionnement prégénital et donc auto-érotique seront un empêchement absolu quant à la capacité à penser vraiment (Penser), c’est-à-dire d’accéder véritablement au Principe de réalité.
Principe de réalité lié lui-même à la question du renoncement et donc à la question de la Loi du père.
Le processus part du besoin vital de l’objet pour aboutir à l’Objet du Désir.
Nous avons là un renversement qui va d’un rapport fusionné au monde à un rapport fécondant le monde.
Après ce détour par la question de la libido revenons de nouveau à l’imaginaire de Jacques Lacan.
L’imaginaire de Lacan implique un système de représentations du monde, dans l’inconscient individuel mais aussi dans l’inconscient collectif qui est de l’ordre de l’imagerie, d’une succession d’images, de figures représentatives, de symboles, telles qu’on peut les retrouver dans la chronologie des images oniriques du rêve, du mythe ou du fantasme.
Au niveau de ce que l’on appelle l’imaginaire, la succession des images mentales implique le travail incessant de l’inconscient et de ses modalités de fonctionnement.
Le travail de l’inconscient implique le principe de plaisir, c’est-à-dire la satisfaction des besoins, il repose sur les processus primaires, sur la capacité à « halluciner » l’objet manquant par le biais d’une imagerie de remplacement ; on retrouve là bien sûr la fonction du rêve, la fonction du fantasme.
Une des premières fonctions de l’Inconscient est de compenser l’absence de l’objet.
Une autre fonction de l’Inconscient est d’utiliser le processus de symbolisation pour masquer les représentations trop liées au mode prégénital de fonctionnement psychique (c’est-à-dire les modalités de satisfaction auto-érotiques de type oral, anal et phallique).
La psychanalyse a pu mettre en évidence que : « …l’instance refoulante puisait les symboles susceptibles de déguiser les rejetons de la sexualité prégénitale dans un code formé par la culture, puisque les exigences de la civilisation sont conçues comme un élément structurant, fondateur du processus du refoulement lui-même. »
(Cf. Reiss-Schimmel Ilana in La psychanalyse et l’argent).
Ainsi les travaux psychanalytiques mettent au premier plan une conception réduisant le travail de symbolisation à un mécanisme de transformation de la libido prégénitale.
Dans cette perspective, Ferenczi précise que : « …ce processus de symbolisation, régi par le principe de plaisir (et par son dérivé, le principe de réalité), tend à la décharge et à la réduction des tensions. » (Cf. Ferenczi in Thalassa).
Nous savons que l’Inconscient opère à chaque niveau de la succession des images ou symboles par des mécanismes spécifiques du type du déplacement, de la condensation et de la substitution.
Après avoir envisagé les modalités de l’intervention de l’Inconscient à travers son support imagé, nous allons maintenant évoquer celles du Conscient.
Le travail de la conscience implique le passage de l’image à la re-présentation mentale.
La conscience est de l’ordre du principe de réalité et des processus secondaires, elle représente tout ce qui est de l’ordre des pulsions d’autoconservation.
La conscience humaine s’est certainement considérablement enrichie avec l’émergence de la rationalité et d’un rapport logique au monde.
Cette capacité étant coextensive de la possibilité d’abstraction.
Ces processus impliquent impérativement la possibilité de raisonner sur l’absence de l’objet réel par la mise en jeu des représentations d’objets. Il ne s’agit dès lors plus d’opérations concrètes mais de processus abstraits.
Il s’agit d’effectuer des raisonnements sur des objets simplement représentés.
Il faut pouvoir « décoller » de l’objet concret ou réel, tel qu’il est « vu » au début de la vie pour « l’entendre » par le biais des représentations de mots.
La capacité à manier des représentations d’objet est liée à la capacité à assurer le « meurtre » de la chose.
Nous avons déjà vu que cette capacité pleine et entière est de l’ordre du mode d’organisation le plus évolué, c’est-à-dire le stade génital.
Car il implique la Loi du père, c’est-à-dire de ce qui vient faire tiers entre l’objet, c’est-à-dire la mère, et l’enfant.
Cette interposition signifiante entre l’objet et le sujet est représentative de ce qui est justement appelé fonction symbolique.
Le besoin primitif et archaïque de reconstitution de la Totalité avec l’objet, à l’image de ce qui était vécu in utero, est difficilement compatible avec la vie psychique représentative.
Cette vie psychique représentative n’est possible que dans l’écart, la fente, l’espace entre la mère et l’enfant.
La première métaphore de la nécessité de la fonction symbolique pour exister (et ex-ister veut dire étymologiquement : être placé à l’extérieur) est représentée par la coupure du cordon ombilical qui suit la naissance.
Au moment de la Césure, l’enfant est séparé de la mère, il ne constitue plus avec elle un Tout, et cette coupure ombilicale permet l’ouverture des alvéoles pulmonaires et la production du premier cri.
(Denis Vasse in L’ombilic et la voix).
La coupure ombilicale amène le premier inspir, le premier souffle, le premier cri.
C’est le pneuma que toutes les traditions ont identifié avec la vraie naissance et l’arrivée de l’âme dans le corps.
Une deuxième métaphore de la nécessité de la fonction symbolique est représentée par l’acquisition du langage qui vient s’interposer entre la mère et l’enfant. C’est pourquoi le langage est considéré comme le système symbolique par excellence au même titre que la fonction paternelle.
Nous avons là deux exemples majeurs et représentatifs de la fonction d’interposition signifiante.
La capacité réelle et aboutie de se représenter le monde, de réfléchir le monde, de penser le monde passe inévitablement par la capacité à assumer le « meurtre » de la chose.
Et cela est repérable dans l’Histoire avec l’apparition des premiers sacrifices.
Là, il s’agit de sacrifier la chose afin d’obtenir la faveur des dieux.
Donc le « meurtre » de la chose est lié à la fonction symbolique, à l’intégration de la Loi universelle, à la résolution de l’œdipe.
Puisque vouloir posséder la mère au fond du fantasme, au fond de l’inconscient, revient en fait à ne pas avoir encore vraiment totalement renoncé à la reconstitution de la Totalité originelle, paradis perdu dont l’espèce humaine au tréfonds de ses neurones garde l’inscription nostalgique.
Après avoir précisé les fonctionnements de l’Inconscient et du Conscient, il nous faut maintenant expliquer pourquoi l’Inconscient effectue ce travail en permanence de transformation des modalités de plaisir liées au fonctionnement psychique prégénital.
L’inconscient effectue ce travail de transformation parce que le matériel prégénital et auto-érotique ne peut, tel quel, accéder à la conscience sous peine d’être en désaccord avec le principe de réalité qui régit la vie psychique consciente.
Le principe de réalité qui régit la vie psychique consciente implique une loi fondamentale et universelle, appelée Loi symbolique, qui ne peut tolérer l’irruption, telle que, dans la conscience de matériel impliquant des modalités de plaisir liées au fonctionnement prégénital.
Le matériel psychique lié à des représentations libidinales prégénitales et auto-érotique est saturé d’attachement œdipien et c’est cet attachement œdipien qui est interdit d’accès à la conscience.
Encore une fois la Loi fondamentale et universelle associe le renoncement œdipien et l’accès au mode de structuration le plus achevé au plan psychologique.
Si un individu donné ne peut accéder au mode de fonctionnement génital, les représentants insuffisamment symbolisés et travestis par l’Inconscient vont dériver vers des voies de satisfactions occultes qui vont se cristalliser en clinique dans ce que l’on appelle le symptôme !
Vous avez donc compris que le symptôme psychique est une modalité de satisfaction cachée et inconsciente de la libido prégénitale et archaïque.
Le fonctionnement psychique conscient, achevé, ayant réalisé la Loi fondamentale de vie, a su intégré toutes les modalités prégénitales pour les mettre au service de la génitalité adulte.
Faisons à ce point-là une petite récapitulation de tout ce qui a été dit.
Le fonctionnement psychique le plus élaboré, le plus achevé, nécessite un renversement qui va du besoin vital de l’objet, besoin initial et archaïque, à la capacité de se représenter psychiquement l’objet absent afin de pouvoir effectuer des opérations mentales à partir de cette représentation.
C’est ce que l’on appelle la capacité à assurer le « meurtre » de l’objet ou capacité symbolique à « tuer » la chose. Mais cela est possible seulement si au tout début de la vie il n’y a pas eu trop de manque. L’enfant au tout début de sa vie doit être comblé par sa mère, il doit avoir son comptant de tendresse, d’affection, de soins. Rassasié, ayant vécu ce sentiment d’omnipotence lié à la satisfaction des besoins, il pourra petit à petit accepter puis désirer la séparation et donc, vous l’avez compris, l’entrée progressive dans le monde symbolique.
Sinon retenu à jamais dans les rets du manque originel, il restera rivé, fixé, aliéné à cette nostalgie et n’aura de cesse de vouloir revenir à la fusion originelle, à la dyade initiale, à la Totalité.
Donc cette entrée dans le monde symbolique est indissociable, d’une part du renoncement à la mère (mère fantasmatique, image du complément duquel l’enfant s’est vécu fusionné), d’autre part de la Loi du père, père en tant que tiers symbolique, s’interposant entre la mère et l’enfant.
C’est pourquoi la Loi du père est identifié à la fonction symbolique. Jean Bergeret dans « Psychologie pathologique » évoque cette « … anthropologie psychanalytique… » qui « …s’attache à retrouver la structure triangulaire de l’Œdipe, dont elle affirme l’universalité dans les cultures les plus diverses (…) confirmant la thèse de Freud qui tend à dégager l’importance de la structure familiale dans l’établissement d’un système symbolique destiné à transmettre, dans un contexte socio-culturel donné, une loi fondamentale dans les rapports sociaux… ».
Sur ce fond-là, l’Inconscient, régi par le principe de plaisir, a pour fonction de compenser le manque et de ramener des images de l’objet manquant, mais aussi de travailler les symboles chargés de représentants libidinaux prégénitaux liés au besoin infantile et immature de posséder la mère.
Le Conscient, quant à lui, assure en permanence dans le champ psychique le passage d’une re-présentation à une autre.
Nous voyons tant au niveau de l’Inconscient que du Conscient que la vie psychique se définit par un flux incessant, par une chaîne infinie de représentants – symboles imagés pour l’Inconscient, de représentations mentales pour le Conscient.
On peut dire, dès lors, que la symbolique peut être réduite à une succession de symboles et de re-présentations mentales à la fois figurant le plaisir mais dans le même temps le déguisant et le réduisant progressivement.
Et que le symbolique serait l’instance qui à chaque étape de la transformation viendrait assurer, non pas le colmatage d’un manque ou d’une absence, mais bien plutôt l’ajout d’un élément de signification conforme au principe de réalité.
Le symbolique a pour mission d’assumer l’absence de l’objet concret, réel, fini et connu pour permettre d’aller vers un autre objet abstrait, signifié, infini voire inconnu !
Cette progression du connu vers l’inconnu, cette relation d’inconnu comme dirait Guy Rosolato, est le fondement même du processus assurant la Connaissance.
La symbolique demeure fidèle au principe de plaisir et le symbolique au principe de réalité.
Mais nous avons vu avec Ferenczi que le principe de réalité est le rejeton même du principe de plaisir.
Et il est dérivé du principe de plaisir à la condition absolue que le sujet ait atteint le stade de génitalisation, c’est-à-dire que le sujet soit capable de penser !
Penser signifie pouvoir penser les choses dans leur réalité, penser signifie pouvoir s’abstraire du réel.
Là, le voir devient l’entendement, le besoin devient Désir et le manque plénitude.
La symbolique et le symbolique sont les deux axes par rapport auxquels toute destinée humaine doit compter :
L’axe imaginaire horizontal, axe réparateur des blessures et des manques, axe des objets concrets, axe des images, illusions et fantasmagories.
L’axe symbolique vertical, axe sublimatoire, axe des objets abstraits, axe intégratif permettant l’élévation et la transcendance au sens philosophique et psychanalytique s’entend de changement de niveau !
L’homme est ainsi à la croisée des chemins écartelé, certains diraient crucifié, entre les dimensions imaginaires et symboliques de l’existence.
Si le serpent dans toutes les traditions et particulièrement dans l’imagerie occidentale représente l’animal prototypique de l’axe horizontal, l’homme est devenu, quant à lui, prototypique de l’axe vertical symbolique.
A un certain moment de son évolution, il se redresse afin de libérer son regard de la vision du sol, de la Terre, pour enfin commencer à pouvoir contempler les étoiles, le Ciel.
Et avec ce mouvement à 90 degrés, avec ce redressement, avec cette première équerre, nous assistons à la naissance de l’homo erectus ; l’homme va dès lors pouvoir commencer à être la métaphore même de la verticalité et donc de la fonction symbolique, de la Loi !
Si l’on veut une image de la distinction entre la et le symbolique, imaginons ce qui se passe au niveau de la réalisation d’un film cinématographique.
Supposons un enfant filmant, nous obtiendrons une succession d’images sans trop de liens entre elles, sans construction sous-jacente, sans structure, sans intention intellectuelle, sans projet ni perspective.
Supposons maintenant qu’il s’agisse d’un metteur en scène ou réalisateur, les changements de plans, la succession des images n’est jamais fortuite ou aléatoire. Non, au contraire tout ce qui est montré l’est en fonction d’une intentionnalité en arrière fond, d’un travail de la pensée en filigrane.
De plus il y a le scénario et le message qu’il contient, il y a le jeu des acteurs et leur professionnalisme et le choix même de leur personne au moment du casting.
Ainsi tous ces éléments organisationnels nécessaires à la réalisation du film sont à même de faire comprendre ce qu’est le symbolique :
– Le symbolique représente l’intervention à chaque niveau du sens, de la signification (dans l’exemple du film le sens détermine la succession des images).
– Le symbolique représente l’irruption du Principe de réalité, fils lui-même du principe de plaisir.
– Le symbolique représente le processus de décantation et d’épuration des éléments les plus denses, les plus lourds, les plus brutes de notre psychisme.
C’est pourquoi le symbolique est associé à un processus de dé-matérialisation, de dé-densification, ce que l’on signifie en disant : « c’est symbolique ».
– Le symbolique représente la capacité vraie à penser.
– Le symbolique représente la reconnaissance d’une Loi psychique fondamentale et universelle. Cette Loi est constante, elle se dégage de l’analyse structurale de tout groupe humain constitué en culture.
Cette Loi, sœur jumelle de la génitalité, qui lie avec constance la signification, la réalité et la capacité à penser, apparaît avec la liquidation authentique de la problématique œdipienne.
—
Bibliographie :
Abellio Raymond dans l’introduction au livre de Daniel Verney intitulé :
L’astrologie et la science du psychisme.
Bergeret Jean dans Psychologie pathologique.
Chevalier Jean dans Le dictionnaire des symboles ; Introduction.
Diel Paul dans Le symbolisme dans la mythologie grecque.
Ferenczi Sandor dans Thalassa.
Freud Sigmund dans Abrégé de psychanalyse.
Freud Sigmund dans Névrose, psychose et perversion.
Freud Sigmund dans Cinq psychanalyse.
Jung C.G. dans Types psychologiques.
Jung C.G. dans L’homme et ses symboles.
Kremer-Marietti dans Symbolique, article de l’Encyclopédie Universalis.
Lebovici Serge – Soule Michel dans La connaissance de l’enfant par la psychanalyse.
Reiss-Schimmel Ilana dans La psychanalyse et l’argent.
Rosolato Guy dans Essai sur le symbolique.
Sempe Jean-Claude dans Symbolique (psychanalyse) article de
l’Encyclopédie Universalis.
Vasse Denis dans L’ombilic et la voix.
—
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