Que représente la notion de banquet ou repas pris en commun ?
Je vous invite à revisiter cette notion à la lumière des travaux d’hellénistes tels que Henri Jeanmaire1 et Louis Gernet2.
Le festin, le banquet, le repas représentait dans la l’Antiquité un acte religieux associé à la pousse des jeunes plantes.
En effet le mot grec exprimant l’idée de banquet est thalia, mot associé à l’idée de jeunes pousses et donc d’épanouissement.
Et Thalie l’une des trois Grâces est appelée la Verdoyante, celle qui fait croître et verdir les plantes.
Ainsi donc le banquet ou ingestion des produits de la terre, l’épanouissement de la végétation et celui de la pensée se trouvent liés par un acte commun.
Cette notion d’un lien profond entre la poussée de la végétation et celui de la pensée est donc déjà inscrit dans les termes, dans les mythes et dans les actes religieux primitifs de la pensée grecque.
Dionysos, dont on sait qu’il est un élément incontournable des banquets, est primitivement un dieu de la végétation et plus particulièrement du renouveau périodique de la végétation.
Donc le banquet (thalia), et les Muses, sources d’inspiration, dont Thalie, la Muse de la Comédie, de la poésie légère et des chansons à boire sont reliés aux actes religieux de remerciement pour le renouvellement et le retour de la végétation, retour rendu possible, bien sûr, par celui du soleil.
C’est bien le retour du soleil qui fait le retour de la végétation.
Donc le banquet, remerciement pour le retour de la végétation, était l’occasion d’exercices de poésie, de chants, d’exercices artistiques faisant preuve de l’épanouissement de la pensée.
Et dans la suite de cette pensée religieuse du vieux fonds primitif de la pensée agraire ; les ripailles, les festins étaient l’affirmation de l’unité sociale élémentaire de villages regroupés autour de sanctuaires communs.
Ces fêtes avaient un rythme saisonnier, elles étaient surtout hivernales, elles étaient liées au repos de l’homme qui se livrait au plaisir.
Ainsi donc d’octobre à mars il y avait nombre d’agapes au cours desquelles se faisait l’admission de nouveaux membres, mais aussi des sacrifices, des rites de passage, des fêtes matrimoniales.
Et lors de ces ripailles, de cette abondance, de ces dons et contributions, de ces beuveries, de ces excès, étaient conviés les étrangers, car les principes de l’hospitalité étaient sacrés lors de ces grands moments de frénésie et de ferveur collective.
Et au cœur de ce qui signifiait la vie sociale des vivants étaient réunis les morts.
Car un puissant besoin d’équilibre associait la vie sociale, le renouvellement des générations ou coutumes matrimoniales et le culte des morts.
Une notion obscure mais d’une profondeur abyssale a toujours relié les cours d’eau, la notion de mort et le mariage.
Les morts étaient donc associés aux fêtes d’hiver et on leur donnait congé après ces fêtes.
Mais le repas n’avait pas non plus cette unique et joyeuse interprétation, il recelait en outre un sens bien plus sombre, bien plus tragique.
Une vieille histoire remontant aux temps immémoriaux raconte qu’un jour les fils se sont rebellé et affranchis d’un père despote, tyrannique et tout-puissant.
Les frères chassés se sont réunis et ont mangé le père, ils ont fait ensemble ce qu’individuellement ils auraient été dans l’incapacité de faire. Par l’acte d’absorption ils réalisaient leur identification avec lui, ils s’appropriaient sa force.
Ce repas, cette fête, cette liesse a servi de départ aux organisations sociales, au sentiment exacerbé de la fraternité, mais aussi et surtout il avait pour fonction essentielle de colmater l’immense sentiment de culpabilité.
Mais finalement reste le souvenir du triomphe remporté sur le vieux père, sur le vieux monde, sur les vieilles valeurs.
Restent la sociabilité et la fraternité.
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1. Henri Jeanmaire in « Dionysos ».
2. Louis Gernet in « Le génie grec dans la religion ».
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