Prométhée eut de Clyménè ou de Cèlaeno, selon les versions, un célèbre fils du nom de Deucalion.
D’autre part Epiméthée, le frère jumeau de Prométhée, eut de Pandore une fille nommée Pyrrha.
Deucalion prit pour femme Pyrrha mais c’est à ce moment-là que Zeus décida de punir les hommes, extrêmement mauvais, éminemment pervers, en leur envoyant le Déluge.
Comme dans la Genèse hébraïque, Zeus fait le choix de la disparition de l’humanité parce qu’il la juge comme étant non conforme à ses plans. Et le mode opératoire du châtiment implique la pluie dans le sens métaphorique de ce qui nettoie le terre.
L’eau est en effet un symbole de régénération, de renouvellement.
La description qui est faite des hommes qui vivent juste avant le Déluge semble correspondre à la race de fer décrite par Hésiode.
Reprenons le texte d’Hésiode dans Les travaux et les jours (arléa) ; « D’or fut la race des hommes périssables que les Immortels, habitants de l’Olympe, créèrent la première. En ce temps-là, Cronos régnait au ciel : les hommes vivaient comme des dieux, le cœur libre de soucis, à l’abri des peines et de la misère. Ils ignoraient même la vieillesse et, bras et jambes toujours vigoureux, ils trouvaient leur plaisir dans les banquets, bien loin de tous les maux. Quand ils mouraient, c’était comme gagnés par le sommeil. Ils disposaient de tous les biens. La terre, féconde, produisait d’elle-même un fruit abondant et généreux ; et eux, paisibles et tranquilles, administraient leur domaine et vivaient dans l’opulence.
Maintenant que la terre a recouvert cette race, ils sont devenus de bons génies par la volonté du grand Zeus ; vivant parmi les mortels, ils veillent sur eux en leur dispensant les richesses (p. 91).
Cette race d’or pourrait correspondre à la race des hommes qui festoient à la table des dieux dans les temps qui précèdent les conflits générés par les choix de Prométhée.
Les hommes de cette race d’or, une fois morts, restent auprès des vivants pour les aider, les conseiller au mieux à la façon, pourrions-nous dire, d’ « anges gardiens ».
Après la race d’or vient la race d’argent et les hommes de cette catégorie demeurent cent ans auprès de « leur mère attentive, jouant dans la maison » comme de grands naïfs.
Une fois adultes, « ils n’avaient plus longtemps à vivre, victimes qu’ils étaient de leur propre sottise : ils ne pouvaient s’empêcher de s’abandonner entre eux à la plus folle démesure. Ils refusaient d’honorer les Immortels et de sacrifier sur les autels des Bienheureux… » (p. 91-92).
Les hommes de la race d’argent semblent correspondre à la dimension lunaire de l’existence et paraissent, a contrario des hommes de la race d’or, dans l’incapacité de franchir un certain seuil de développement, de maturité. Ils restaient enfermés dans leur image spéculaire, ils demeuraient fixés à leur mère, et, gonflés d’illusions, refusaient d’honorer les dieux.
Hésiode les qualifie de « Bienheureux des enfers ».
Ainsi après les hommes de la race d’or dont l’existence semble correspondre à la dimension apollinienne de l’existence nous avons les hommes qui demeurent dans l’orbe lunaire, qui n’ont pas accompli la sortie de la deuxième matrice.
Après la race d’argent, Zeus créa la race de bronze, race guerrière et périssable, issue des frênes. « Ceux de cette race n’avaient souci que des travaux d’Arès, ne rêvaient que de violences cruelles. Ils ne mangeaient pas de pain, leur cœur inflexible était dur comme l’acier, ils inspiraient l’effroi. Doués d’une force extrême, ils étaient pourvus de bras invincibles, rattachés par l’épaule à leur corps vigoureux. Leurs armes étaient de bronze, de bronze leurs maisons comme aussi leurs outils : le fer noir n’existait pas.
Victimes de leurs propres bras, ils s’en sont allés, privés de gloire, dans les demeures moisies du glacial Hadès (p. 92-93). »
La race de bronze correspond à l’humanité belliqueuse et guerrière évoquée à plusieurs reprises dans les mythes grecs et notamment lors de la castration d’Ouranos puisqu’à ce moment-là, naissent des éclaboussures de sang reçues par Terre, les fameux Géants et leurs armures brillantes ainsi que les Nymphes du frêne.
Après la disparition de cette race violente en vient une autre également guerrière mais, nous dit Hésiode, « plus juste et meilleure, sur le sol nourricier : race divine de héros que l’on nomme demi-dieux et dont la génération a précédé la nôtre sur la terre sans limites. Ceux-là, la guerre les anéantit dans une mêlée affreuse – devant Thèbes aux sept portes, sur la terre de Cadmos, tandis qu’ils combattaient pour les troupeaux d’Œdipe, ou bien encore à Troie où, par-delà les mers, ils menèrent leurs vaisseaux, tout au désir de se battre pour Hélène aux beaux cheveux (93). »
A la fin de leur vie ces héros sont destinés à la mort, pour certains, tandis que d’autres « le cœur libre de tout souci, habitent les îles des Bienheureux, au bord de l’Océan aux tourbillons profonds (p. 94). »
Les héros, fils de dieux et de mortels, sont donc « plus justes » et meilleurs ce qui les différencie des hommes de la race de bronze, non mangeurs de pain, prototypiques d’une violence inouïe, d’une cruauté sans limites, presque des machines de guerre ou des robots, comme Talos le Crétois.
On peut penser aussi aux spartois ou « semés » qui naissent de la terre et de dents de dragons dans la légende de la fondation de Thèbes.
Enfin Hésiode évoque la race de fer dont il vaut mieux « être mort avant ou né après ! Car la race d’à présent est une race de fer. Le jour n’apportera pas de répits à leurs pénibles souffrances, ni aux soucis amers et dévorants que leur enverront les dieux. A leur maux, toutefois, quelques biens seront mêlés. Zeus détruira aussi cette race d’hommes périssables, le jour où ils naîtront avec les tempes blanches. Le père, alors, ne ressemblera plus aux enfants, ni les enfants au père ; l’hôte ne sera plus cher à l’hôte, ni le compagnon à son compagnon, ni le frère à son frère, comme au temps passé. Ces misérables traiteront avec mépris leurs parents devenus vieux ; ils leur feront de durs reproches, sans craindre aucunement le jugement des dieux. Aux vieillards qui leur ont donné la vie, ils refuseront la nourriture. On ne respectera plus la parole donnée, ni la justice, ni le bien. Au contraire, on honorera celui qui fait le mal, l’homme devenu démesure. La force tiendra lieu de droit. Le sentiment de l’honneur disparaitra. Par ses discours tortueux et par ses faux serments, le méchant nuira à l’homme de bien. L’envie au regard haineux, qui sème le trouble et se réjoui du malheur d’autrui, harcèlera les malheureux mortels.
Alors, quittant la terre aux larges routes pour gagner l’Olympe, leur beau corps couvert de voiles blancs, Conscience et Equité abandonneront les hommes et s’en iront rejoindre les Immortels. Aux mortels resteront les chagrins amers ; et contre le mal ne sera nul remède (p. 95). »
Il faut bien comprendre ces races dans une perspective mythique, certainement d’évolution cyclique, mais en ce qui concerne la race de fer on ne peut s’empêcher d’imaginer, de fantasmer, l’humanité décrite par Hésiode après l’ouverture de la boite de Pandore.
En tout état de cause le « divorce », la « séparation », la « scission » entre la perspective de Zeus et l’humanité materialisée est alors, avec la race de bronze (Apollodore) guerrière et meurtrière ou de fer marquée du sceau de la perversité, à son comble et coïncide avec la thématique du Déluge.
Le parallélisme avec la légende hébraïque ou akkadienne est presque total et implique Deucalion pour l’une et Noé pour l’autre.
Dans les deux cas il s’agit de construire une Arche, sorte de refuge, métaphore de la dimension symbolique, qui permettra le renouveau d’une humanité meilleure.
Dans ce type de récit sont généralement associés, outre l’Arche, l’Arc-en-Ciel et l’Alliance.
Mais l’Arc-en-Ciel déjà symbolise ce qui relie le Ciel et la Terre, et Iris qui en est la personnification est bien, dans la mythologie grecque, la messagère des dieux.
En tout état de cause, Deucalion et Pyrrha, puisque l’on suit la version grecque, abordèrent sur le mont Parnasse, pour certaines versions, après neuf jours et neuf nuits (le chiffre neuf est le symbole par excellence de la fin d’un cycle et du renouveau) saufs mais seuls.
Il est à préciser que dans certaines versions du Déluge, ce qui pousse Zeus à faire disparaître la race humaine est le fait d’avoir été convié à la table de Lycaon, ou des fils de Lycaon, qui lui aurait offert une soupe contenant les entrailles d’un enfant. Cela est certainement en lien avec les sacrifices humains qui avaient cours en des temps très anciens.
Seuls, donc, Deucalion et Pyrrha, demandèrent aux dieux de pouvoir reconstituer la race humaine et c’est alors qu’il leur fut répondu de jeter derrière eux des cailloux.
Et c’est ainsi que chaque pierre jeté derrière Deucalion devint un homme et que chaque pierre jetée derrière Pyrrha devint une femme.
La pierre, certes, est évocatrice de condensation, de densification et de matérialité, mais ici elle symbolise des qualités psychiques telles que la solidité, la dureté, la fermeté, l’organisation et la constance.
La solidité et la dureté du cristal ont clairement pour signification l’agencement structurel de la personnalité.
Les groupes humains ont un besoin impératif de sentir l’assise solide et protectrice de la Terre.
Les assemblées humaines ne peuvent s’accommoder de la faiblesse et de la versatilité, il leur faut construire, en dur, des Temples de pierre qui montent vers le Ciel.
C’est la pierre qui monte vers le Ciel.
Et la pierre, jadis, n’est-elle pas tombée du ciel comme Kubélè, Cybèle « la gardienne des savoirs » ?
C’est la pierre qui tombe du Ciel.
Le paradoxe est bien tenace, avec la pierre, entre l’évocation de la légèreté, de la subtilité, du caractère éthéré et cette extrême solidité, cette revendication de la dureté.
Mais la défense constante de la légèreté de l’âme, de la subtilité de l’esprit, de l’édification de la pensée, impose la solidité des maisons, la solidité des Temples, la solidité des autels sacrificiels, la solidité des convictions, l’incorruptibilité des cœurs parachevée par l’écriture dans le marbre de la loi de vie psychique (Loi).
Et on rappelle l’enjeu du sacrifice de Mécônè, choisir le périssable, le corruptible et la mort en se délectant des bons morceaux de viande, ou opter pour les « os » et choisir ainsi la pérennité, l’immortalité symbolique (Immortalité).
L’inscription en son cœur de la loi de vie (Loi), est une inscription dans la pierre.
La solidité de la pierre s’est transmuée en solidité de la Loi, solidité de l’être, force de la sagesse.
Et c’est cette solidité de la conviction, cette constance et cette fermeté de la croyance en l’être qui constitue vraiment dans l’imaginaire l’importance fondamentale de la pierre précieuse.
Et cette solidité, rapportée à la philosophie comprise dans le sens premier « d’amour de la sagesse », est ce qui donne son sens au concept de pierre philosophale.
Mais la dureté de la pierre file également sur un autre signifiant fondamental qui est la dureté de l’homme, la dureté pénienne, la virilité qui garantit la pérennité de l’espèce.
Pas de solidité de la maison, pas de solidité du Temple, pas de solidité de la Loi, sans la solidité de l’homme.
Ainsi le fils de Prométhée, celui qui promeut la toute-puissance phallique de l’homme, la fierté masculine, est celui-là même qui est à l’origine de la race de pierre.
Et en ce sens Deucalion et Pyrrha sont à l’origine de la race dure, de la race laborieuse, de la race qui croît, de la race de pierre.
La « solidité » de la croyance en la vie psychique (Vie) est ce qui protège de la dispersion de la mort psychique (mort).