Prométhée est, comme on l’a vu précédemment, le fils du Titan Japet et de l’océanide Clyménè.
Il aura pour frères Atlas, Ménoétios et surtout Epiméthée, son jumeau, son double.
Japet est un des principaux protagonistes de la révolte contre Ouranos, de la révolte contre le père.
Le nom de Prométhée, en grec Προμηθεύς, a pour signification « le Prévoyant », alors que celui de son double, Epiméthée, Έπιμηθεύς en grec, signifie « qui réfléchit après-coup ».
Il est d’évidence que les mythographes ont d’emblée, par ce couple, par ce double, par la médaille et son revers, posé les conséquences éminemment désastreuses d’une certaine orientation de l’esprit humain.
Prométhée serait, selon certains, un emprunt au dieu mésopotamien Enki-Ea, et Japet, son père, évoquerait, par son nom, un des trois fils de Noé, Japhet.
Il est à remarquer que Japhet et Noé, d’une part, Prométhée et Deucalion, d’autre part, sont impliqués dans un récit du Déluge, l’un dans la version hébraïque, l’autre dans la version grecque.
Mais surtout Prométhée serait l’équivalent Indien, en sanskrit, de Pramanthu.
Et Pramanthu serait en lien avec pramantha le bâton autrefois destiné à faire le feu.
Ainsi Max Müller, dans sa Mythologie comparée, évoque ce pramantha, ce bâton « dont on se sert pour forer et tirer le feu du bois.
La racine manth ou math signifie « remuer, tourner rapidement », et plus particulièrement « produire du feu en frottant vigoureusement deux morceaux de bois l’un contre l’autre… ».
Et pour Müller toujours, manthâs désigne « le bâton qui sert à barater le lait ».
Et le beurre est assimilé au soma et à la semence.
Et effectivement le feu était produit en Inde au moyen du mouvement circulaire d’un bois dur dans un bois tendre et il est dit, dans le Rig-Véda, que des doigts des officiants actionnant la courroie naissait le fils du Charpentier, c’est-à-dire le feu.
Il est donc évident que Prométhée, par ses correspondances Indiennes, est celui qui produit le feu.
Le mot sanskrit, pur, signifie à la fois pur et feu, il marque également sa double fonction, au plan de l’imaginaire, entre la purification et la destruction mais purification par la destruction des formes et enveloppes, purification par le feu de la connaissance et la détermination de la volonté.
Et le feu en Inde, Agni, le feu terrestre, est une des trois modalités du feu avec Indra (la foudre) et Surya (le Soleil).
Le feu correspond, dans quasiment toutes les traditions, au premier mouvement qui enclenche la création, il représente à la fois l’unité de toutes choses, l’Un, et la substance primordiale.
La Gîta nous enseigne clairement que Brahma est assimilable au feu.
Cette thématique, dans la pensée grecque, se retrouve dans la vision héraclitéenne du feu initial.
Dans le mandala zodiacal ce premier mouvement, mouvement de feu, correspond au Bélier, signe par excellence de l’impulsion créatrice, de l’énergie primordiale.
Donc Prométhée/Pramantha est le faiseur de feu mais il est également, en référence au feu créateur du monde, celui qui créé le « monde » humain.
Et le démiurge créateur de l’homme, le Titan créateur du feu ou le voleur du feu est associé, par le procédé même du jaillissement du feu, par le frottement de deux pièces de bois l’une contre l’autre, à l’instigateur d’une « certaine conception de la sexualité ».
On a ainsi une ligne allant du jaillissement du feu au jaillissement de la semence.
Mais Prométhée/Pramantha, le créateur de l’homme, le créateur du feu, l’instigateur du « sexuel », représente le bâton même qui accomplit le barattage du lait et qui produit par l’amritamanthana, le nectar d’immortalité ou amrita, assimilé à l’ambroisie de la mythologie grecque.
Cela nous incite à penser que l’action prométhéenne, au départ, n’est pas dissociée du fantasme de Zeus d’amener l’humanité naissante vers l’Olympe, c’est-à-dire vers un Savoir qui soit la source d’une connaissance globale, unitive, harmonieuse, immanente, transcendante et joyeuse.
Le telos de l’homme, ainsi conçu, coïnciderait avec la réalisation de l’être et la spiritualisation de l’espèce humaine.
Il faut comprendre « spiritualiser » dans le sens de se déprendre du « matériel », « matériel » étant compris dans le sens de Terre/Mère, ou de façon subséquente dans celui de « mater », ce qui implique que la spiritualisation dont il est question est de l’ordre du registre de la fonction Tiers, ou fonction paternelle ou fonction symbolique ou loi de vie (Loi).
Cette thématique est constante dans la théogonie grecque avec la révolte des Titans contre le Ciel, Ouranos, puis contre Zeus.
Prométhée marque une hésitation, il symbolise l’ambivalence humaine à choisir clairement la voie du Symbolique, le chemin de la génitalisation au sens freudien du terme.
Mais Prométhée/Pramantha a pour homologue indien Manu et Manu « celui qui pense » est considéré, lui-aussi et selon Max Müller, comme le père de la race humaine.
Et le bienfaiteur des hommes, celui créé le feu en frottant, celui qui pense, Prométhée, est un Titan qui, dans la droite ligne d’Hypérion, feu céleste, des Cyclopes à l’œil unique rivé sur le métier, d’Héphaïstos donné comme fils de Zeus et d’Héra mais parfois d’Héra seule, des Cabires industrieux et sexuels, Prométhée donc, utilise le feu aux fins de la métallurgie et de l’industrie.
Prométhée oriente l’esprit humain vers une activité destinée à lui permettre d’utiliser au mieux les ressources de la terre et à en jouir au maximum.
Et c’est à ce point-là que se situe la ligne de démarcation entre une activité humaine, juste, légitime, non séparée ou scindée du projet global, assimilable à l’activité du fils de Zeus, Héphaïstos, et une activité prométhéenne émancipée du Désir de Zeus, focalisée sur le matériel, perdant le « mode d’emploi » de la « réalisation », sous-entendu le mode d’emploi qui permet l’accès à la Loi ou fonction symbolique.
Et c’est peut-être ce refus de la Loi, ce retour vers la Terre/Mère qui a fait dire à Gaston Bachelard que Prométhée représente le complexe d’Œdipe de la pensée.
En tout état de cause, on a, à partir de Prométhée, un axe de pensée irréductible incluant le feu créateur du monde et de l’homme, la naissance de la pensée, l’émergence d’une sexualité revendiquée et l’orientation vers une activité industrieuse.
En ce qui concerne la « sexualité » revendiquée elle correspond à ce que Karl Abraham qualifie de « complexe de grandeur sexuelle » et il évoque l’homme comme celui « qui compare sa puissance génératrice à celle du foreur qui suscite le feu dans le disque de bois, à l’œuvre du foreur céleste, l’éclair. Dans sa forme la plus ancienne, la légende de Prométhée est l’apothéose de la puissance génératrice de l’homme… (Œuvres Complètes t. I, p. 108).
Et le mythe de Prométhée va coïncider avec une sorte de fiction « purement masculine », sorte d’apothéose d’une puissance virile consubstantielle à une croyance dans le miracle de la baguette magique.
Et contrairement à l’homme, extrêmement présent symboliquement, la « femme n’est représentée que par le disque de bois et n’est mentionnée que tout à fait accessoirement dans la légende (Œuvres Complètes t. I p. 110)
Cette ligne de partage est aussi celle qui différencie l’homme de la race d’or resté fidèle aux terres symboliques, confiant dans le projet d’Héphaïstos, qui festoie à la table des dieux, qui connait les biens (Biens) de ce monde dont le Bonheur et l’homme de l’âge de fer, accablé par l’obsessionnalisation de la recherche de biens matériels, biens qui s’avèrent être des maux, en proie à l’addiction la plus épouvantable, miné par la culpabilité générée par les meurtres, massacres et génocides qui se succèdent depuis des temps immémoriaux.
Et à ce propos les têtes de l’Hydre de Lerne qui repoussent sans cesse après avoir été coupées symbolisent ce retour sans fin des désirs, des meurtres et de la culpabilité.
D’ailleurs c’est en ce lieu, à Lerne, que les têtes coupées des maris des Danaïdes ont été enterrées.
Ce qui montre bien là que les massacres perpétrés au nom du contrôle des sources, des eaux, en certains temps, en certains lieux, génèrent dans la psyché et obsessions et désespoir.
Mais les Erynnies déjà représentaient une autre façon mythique d’évoquer cette problématique.
Le mythe prométhéen évoque ainsi le clivage entre un mode de pensée séparé de la « réalisation » humaine, réalisation à comprendre dans le sens énoncé précédemment, et un autre mode de pensée non scindé, non clivé, non partiel, non univoque et qui reste centré, non sur l’œuvre comme le Cyclope, mais sur l’or psychique, le Bonheur, bref l’être.
Il s’agit donc de la ligne de démarcation entre l’intelligence exclusivement pratique, utilitaire, concrète, et l’intelligence supérieure non déconnectée des besoins essentiels et spirituels de l’humanité.
Il s’agit de l’opposition entre manas et Buddhi.
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