L’âge d’or serait lié à Chronos qui sera assimilé au Saturne des Romains.
Saturne était le dieu des semailles qui annoncent le renouveau de la végétation et en l’occurrence, ici, le renouveau des récoltes.
Donc Chronos/Saturne est lié aux grains qui vont être sacrifiés, mis en terre, pour donner les récoltes.
On retrouve bien là la notion de sacrifices qui étaient jadis accomplis, du temps des divinités maternelles, dans un but propitiatoire.
On est aussi dans le registre démétérien.
Pour que la Terre soit généreuse il faut être généreux avec elle et lui offrir des sacrifices.
Ce qui était sacrifié à la Terre pour la rendre bonne était, entre autres et à certaines époques, le roi sacré, fils/amant de la mère.
En effet au bout d’un certain temps de son règne, le plus souvent lorsqu’il avait atteint un certain âge ou que sa vigueur donnait des signes d’affaiblissement, le roi/sacré/fils/amant de la mère était sacrifié.
Car la force du roi était un signe éminemment positif quant à la fertilité attendue des plantes, des animaux et des hommes.
Ainsi le sacrifice, de celui-là même qui a ensemencé la mère, représentait ce qui donne l’abondance, le sacrifice représentait ce qui permettait quelque chose de l’ordre de la corne d’abondance.
Car la Terre était conçue comme éminemment riche, riche de ses morts, riche de ses ressources, riche de ses potentialités.
Et le fait que le fils soit castré au terme de son mandat est certainement ce qui a conduit Freud à forger le concept de castration à la suite des grands mythologues et anthropologues dont Frazer.
Donc, dans les temps les plus anciens, dans la protohistoire de l’humanité, le fils/amant/roi-sacré était sacrifié, émasculé, démembré. Ces morceaux de corps étaient déposés dans un chaudron sacré et mis à cuire dans la perspective d’un prodigieux festin au cours duquel souvent se déployait une activité sexuelle frénétique.
Activité sexuelle frénétique que Bachofen décrit comme étant une première phase de l’humanité précédant les phases matrimoniales (matrilinéaire d’abord puis patrilinéaire).
Bachofen a une image pour caractériser cette sexualité débridée, il la nomme « sexualité des marais ».
Et d’ailleurs on ne peut s’empêcher de penser que l’irruption ou le retour du dionysisme dans la Grèce antique a certainement représenté un rappel ou une nostalgie de cette phase.
La difficulté des temps, les guerres, le formalisme auraient précipité en quelque sorte le retour de la pulsion ou du moins le retour du désir (Aphrodite).
Dans la mythologie grecque on retrouve magistralement une évocation de cet événement que représente le sacrifice du roi sacré.
En effet Chronos, le fils rebelle, le fils à « l’esprit retord », à l’instigation de sa mère, d’un coup de serpe castre son père Ouranos.
Mais ce qui attire l’attention, là, c’est que le fils, Ouranos, fils de Gaïa la Terre primitive, est uni à elle non pas par ce qui serait un pénis mais bien plutôt un cordon ombilical.
Et, dès lors, le coup de serpe viendrait sectionner non pas le pénis d’Ouranos mais le cordon ombilical le reliant à sa mère.
Car sinon comment expliquer que de cette blessure naissent et le Temps, et le Désir et la culpabilité.
Le Temps étant le nom de Chronos, le Désir étant représenté par la naissance d’Aphrodite, et la culpabilité par l’avènement des Erinyes.
Il y a aussi la naissances de Nymphes, les Méliades, qui donneront naissance à une race d’hommes menteurs et sujets à la démesure (hybris).
Ce temps, ce temps de Chronos, est à même de symboliser par excellence le concept de castration imaginaire de Jacques Lacan.
Cette césure ombilicale est bien ce qui permet la séparation mère/enfant, l’avènement du désir et la mise en mouvement du temps psychique.
Comme le big bang met en mouvement l’espace et le temps.
Après l’épisode de Chronos détrônant son père, la mythologie grecque nous enseigne que c’est au tour de Zeus de déchoir son père Chronos.
Zeus introduit un temps nouveau, temps patriarcal s’il en est, et par voie de conséquences la sortie du monde réglé par les divinités maternelles.
Est-ce ce monde patrilinéaire avec son hyperinvestissement de la rationalité et de la guerre, son formalisme religieux, voire son obsessionnalisation ou sa névrotisation qui va déterminer l’arrivée de Dionysos, de ses thiases, extases, ménades et satyres ?
S’agit-il d’une immense nostalgie du temps de Chronos et de la joie lubrique des marais ?
C’est possible, mais il y a un autre aspect qui se profile derrière la revendication pulsionnelle, c’est l’impératif de la sagesse, de la vie spirituelle.
Et les Orphiques, s’inspirant de nombreux aspects du dionysisme, ont une grande part d’implication dans cette évolution.
Il s’agissait certainement de faire un peu moins la guerre et un peu plus l’amour, pour reprendre une formulation plus récente, et, qui plus est, de faire l’amour avec la sagesse, avec la vérité.
D’ailleurs on a cette image d’Athéna, la déesse de la sagesse, qui sort armée de pied en cap du crâne de Zeus suite au coup de marteau donné par Héphaïstos.
Et on a cette représentation du Sagittaire semblant indiquer que dorénavant la cible est le Ciel !
Et Dionysos peu à peu va incarner, non plus essentiellement le retour à l’aspect hédonique ou pulsionnel ainsi qu’une certaine extase mystique par la mania ou les grandes crises hystériques visibles lors des processions, mais une quête de l’ordre de la connaissance de soi.
On sait que Dionysos, par ses origines phrygiennes, est lié à Attis, le fils de Cybèle. On revient là sur un remaniement historique du temps de Chronos, des repas totémiques et de l’aspect orgiaque.
Attis rappelle le sacrifice du fils et le dionysisme va subrepticement évoluer vers un sacrifice qui ne sera plus charnel mais psychique.
L’enjeu dorénavant est la connaissance de Soi, la connaissance des forces cachées du psychisme.
Forces cachées du psychisme qui ont pour nom, on le sait depuis quelque temps, l’Inconscient.
Avec la tragédie grecque, qui vient d’ailleurs du mot grec tragos qui signifie bouc (l’animal sacrifié), l’essentiel est bien de savoir ce qui nous agite.
Le héros tragique est animé par des forces qu’il ne contrôle pas, et ces forces sont celles de l’Inconscient.
C’est pourquoi ce héros nous paraît être le jouet du destin.
En effet qui est-il ?
Sa personnalité le représente-t-il ou le masque-t-il ?
D’où la réflexion sur le mot personnalité, mot construit sur celui qui signifie masque en grec.
Alors de quoi s’agit-il ?
De connaître sa personnalité ou de connaître quelque chose qui serait derrière la personnalité ?
Bien sûr ce qui serait derrière la personnalité ne serait plus une parodie d’être mais l’être lui-même.
Alors à ce point-là, on comprend que les fantasmes orphiques, notamment, du retour à Chronos, fantasmes d’un âge d’or, vont alimenter un autre fantasme qui est celui de l’alchimie et de la pierre philosophale.
Et lorsque l’on évoque l’âge d’or on ne peut s’empêcher de penser aux hommes de la race d’or d’Hésiode qui, une fois morts, restent auprès des hommes pour les aider, les assister tels des sortes d’anges gardiens.
Les bouddhistes diraient que ces hommes de l’âge d’or, que ces anges gardiens, ressemblent étrangement à leurs boddhisattvas.
Mais d’autres pourraient penser à Hénoch !
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Écrits en rapport :
– A propos du temps de Chronos.
– La Titanomachie ou la guerre entre la conscience fragmentée et le conscience unifiée.