Aspects mythiques généraux
Prométhée est le fils du Titan Japet et de l’Océanide Clyménè, ou Asia selon les traditions, et il sera, lui-même, considéré comme un Titan.
Hésiode nous parle de la progéniture de Clyménè en ces termes ; « Elle lui donna pour fils Atlas au cœur violent. Elle enfanta ensuite l’orgueilleux Ménoétios, Prométhée aux mille ruses bigarrées et Epiméthée à l’esprit maladroit, qui fut à l’origine du malheur des hommes mangeurs de pain… »
Prométhée, dont le nom signifie « Prévoyant », s’oppose d’emblée à son frère Epiméthée dont le nom a pour signification « qui réfléchit après coup ».
Le nom même d’Epiméthée introduit le fait qu’il représente la contrepartie de Prométhée, il en est en quelque sorte le revers.
Ainsi, au plan mythique, la qualité principale de Prométhée, la prévoyance et l’orientation de la pensée humaine vers le côté utilitaire et matériel, est contrebalancé par les défauts principaux d’Epiméthée que sont la maladresse et la réflexion « après coup ».
La pensée mythique énonce déjà une mise en garde et évoque le prix à payer pour l’homme du fait de son choix de s’orienter vers le matérialisme de la pensée pratique et utilitaire.
Japet, le père de Prométhée, n’est pas n’importe qui, il a été impliqué gravement dans la révolte contre son père, Ouranos, révolte, complot, ourdis par sa propre mère Gaia, la Terre.
Il est un des quatre piliers qui maintiennent Ouranos pendant que son frère, Cronos, « à l’esprit retors », accomplit la mutilation.
Le père de Prométhée, Japet, est donc un éminent protagoniste de la révolte contre le père.
Prométhée, le fils rebelle de Japet, celui qui désobéit à Zeus, celui qui sera puni pour cela, demeurera quand même un allié de ce dernier dans la guerre qui va opposer Zeus à Cronos et aux Titans.
Cette ambiguïté est au cœur de la problématique de l’intellect humain. Intellect qui doit permettre une légitime maîtrise du réel, de l’environnement, de la matière et du monde sans pour autant perdre de vue l’essentiel, le telos du phénomène humain, qui réside dans la connaissance de soi et du monde.
Rappelons la phrase inscrite sur le fronton du Temple de Delphes ; « Connais-toi toi-même ».
L’homme, dans la conception mythique, ne doit en aucun cas s’écarter du chemin représenté par l’Olympe ou par Zeus, chemin, voie ou procès de spiritualisation.
Et « spiritualiser » signifie littéralement sortir de la matière ou plus exactement « se déprendre de la matière ».
Le but de l’esprit humain est donc de lâcher les « pensers bigarrées » attribués à Prométhée pour se rapprocher de ceux de Zeus qualifiés par Hésiode de « pensers éternels ».
Zeus représente la pensée globalisante, unitive, harmonieuse, génitalisé au sens freudien du terme et orientée vers la connaissance de soi et du monde alors que celle de Prométhée est une pensée utilitaire strictement rationnelle, analytique, restreinte, cloisonnée et fragmentée ou clivée.
Pour Paul Diel la ligne de partage fondamentale du devenir humain se fait entre « la spiritualisation et le pervertissement ».
Prométhée est donné comme le créateur de l’espèce humaine, c’est lui qui à partir de la glaise donne la forme générale à l’entité et qui, par le feu, feu de Zeus, donne l’étincelle de vie qui anime ladite forme.
C’est en ce feu de la vie que s’origine la naissance de la conscience, de la pensée, et du pouvoir illuminant de l’esprit.
Après une phase idyllique de proximité et de partage entre les dieux et les hommes va se produire le premier conflit, la première divergence, la première séparation, entre Zeus et les hommes.
Et Prométhée sera à l’origine de cette faute.
En effet, à Mécônè, lors d’un de ces festins réunissant et les hommes et les dieux, Prométhée va « pousser » l’homme dans une voie mauvaise.
Lors du sacrifice, au lieu de laisser les bons morceaux se consumer et partir en fumée pour le subtil plaisir des dieux, il trompe Zeus en dissimulant les os sous de la belle graisse blanche et en permettant ainsi aux hommes de garder la viande qu’ils vont pouvoir consommer.
On peut imaginer que cela correspond à une rupture dans le mode d’alimentation de l’humain, mode passant de la consommation de végétaux à la consommation de produits carnés.
Zeus, d’après les mythographes, s’amuse de voir l’homme choisir les morceaux périssables, les morceaux de « mort » en place de ceux qui symbolisent la « blancheur », la solidité, la pérennité.
Mais néanmoins, même amusé, Zeus décide de punir l’homme en lui retirant le feu.
Le feu offert à l’homme en ces temps-là est le feu du ciel, le feu de la foudre qui tombant sur les arbres, le plus souvent sur leur cime, générait des foyers permettant à l’humain de récupérer le feu précieux pour écarter les fauves, se chauffer ou cuire les aliments.
C’est une fois de plus Prométhée qui va voler au secours de l’homme en volant le feu du ciel à la roue du soleil.
Pour d’autres il aurait pris ce feu à la forge d’Héphaïstos.
Pour d’autres encore, ce feu, il l’aurait produit lui-même par le frottement de deux pièces de bois.
Quoiqu’il en soit c’est à partir de ce feu larcin, de ce feu indu, de ce feu « inférieur » qu’il va permettre à l’humanité de s’orienter vers l’activité de la métallurgie, de l’orfèvrerie, de l’industrie.
Et c’est cette métallurgie qui va produire les armes, armes de bronze, fléau de l’humanité.
Et c’est ce feu indu, feu du frottement, feu chtonien, qui va faire miroiter à l’homme la possibilité d’une toute-puissance sexuelle, toute-puissance phallique.
Et ainsi l’alimentation carnée et l’agressivité collective qu’elle semble majorer, la possession d’armes métalliques majorant de façon considérable la « facilité » à tuer, le désir colossal de sentir sa puissance phallique, la démesure dans l’envie de posséder et d’asservir l’autre, focalise l’homme sur des buts restreints, limités, scindés, qui deviennent un empêchement absolu à poursuivre le dessein de Zeus d’une humanité « réalisée », pleinement consciente, libérée des scories matérielles.
Mais ce feu volé va avoir pour conséquence d’autres punitions.
Pour l’homme cette punition se matérialisera en la personne de Pandore.
Pandore représente la Terre, plus particulièrement tous les dons de la Terre, « Pan dora ». Pandore c’est l’incarnation de l’investissement forcené, par l’homme, des biens matériels, Pandore c’est le « veau d’or » de la mythologie hébraïque, Pandore c’est aussi la pomme, fruit de la terre par excellence, de la Genèse.
Pandore est représenté par une femme particulièrement « artificielle », c’est une femme objet, un leurre, répondant peut-être au fantasme masculin narcissique-phallique.
En tout cas cette femme « artifice », cette femme objet, cette femme « fantasmatique » va symboliser la chute de l’humanité renonçant à la Connaissance et donc à la poursuite sur le chemin, sur la voie, sur le procès du « Phénomène humain » comme dirait Pierre Teilhard de Chardin.
Ce procès qui a constitué l’homo erectus risque fort, de par la vision univoque, cyclopéenne de Prométhée, de se stopper, d’amorcer un recul voire d’aboutir à l’idée mythique de la Chute.
Pandore représente la trilogie Aphrodite (sexualité débridée), Arès (la guerre), Héphaïstos (l’industrie).
Et au plan de la mythologie grecque Aphrodite représente la déesse de l’amour charnel, Arès/Mars est le dieu de la guerre et l’amant d’Aphrodite et Héphaïstos est le mari d’Aphrodite.
On ne peut rêver mieux que ces liens personnels pour parler des liens mythiques évoqués.
Prométhée, quant à lui, est également puni, il est enchainé, non à Pandore qui représente l’aliénation au matériel, mais à un rocher du mont Caucase, qui, comme celui que traine éternellement Sisyphe dans l’Hadès, symbolise la perte de liberté inhérente à l’addiction que représente la poursuite démesurée des fruits de la Terre.
Un aigle vient chaque jour lui dévorer le foie, le foie étant l’organe qui symbolise l’espérance, on doit comprendre que Prométhée est puni là où il a péché, c’est-à-dire par un manque de foi en l’espèce humaine.
Et cette espérance, qui a singulièrement fait défaut dans le projet que Prométhée conçut pour l’homme, est singulièrement ce qui reste « au fond » de la boite de Pandore, boite d’illusion, qui une fois ouverte a libéré tous les maux.
Mais Prométhée sera libéré par Héraclès, dit la « gloire de Héra », celui-là même qui, par ses douze travaux, ses douze stations dans le mandala que représente le Zodiaque, a pu envisager, intégrer et harmoniser tous les aspects, toutes les dimensions de la psyché humaine.
Héraclès, donc, d’une flèche, tue le griffon qui persécute Prométhée et brise les chaines du supplicié.
Prométhée devient alors, à l’identique de son double Héphaïstos, un artisan, un orfèvre, un industriel qui reste « allié » de Zeus et qui ne perd pas de vue la finalité du devenir humain.
Chiron, un autre bienfaiteur, thérapeute par excellence, sage parmi les sages, pédagogue, mais aussi porteur d’une blessure inguérissable, offre son immortalité à Prométhée préférant la mort et ainsi la fin de son éternelle souffrance.
Et la blessure inguérissable de Chiron, blessure générée par une flèche enduite du poison que représente le sang de l’hydre de Lerne, symbolise certainement la renaissance sans fin de la pulsion de mort.
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– Mythologie grecque de génération en génération.
– Prométhée et mythologie comparée.
– La descendance de Prométhée ou Deucalion et la race de pierre.