En préambule rappelons que l’axe horizontal est l’axe de la terre, l’axe des besoins de la vie prosaïque, l’axe du « monde », l’axe de la materialité.
L’axe vertical est l’axe symbolique, axe de la transcendance, axe de la voie du Ciel.
L’homme est écartelé sur ces deux axes.
Le serpent est l’animal le plus horizontal, il fait corps avec la terre, point de pattes, rien qui lui permette de tenir la verticalité.
C’est pourquoi il représente si parfaitement l’axe horizontal.
Cet animal est donc celui qui va jouer un rôle central dans le mythe fondateur de la chute de l’humanité originelle, chute qui sera le paradigme même du mauvais choix.
C’est le serpent qui tend à Eve le fruit défendu.
Ce fruit défendu est le fruit de l’Arbre de la connaissance du Bien et du Mal que l’homme en aucun cas ne doit manger.
Dans l’Eden, en effet, il n’y a aucun interdit fait à Adam et Eve.
Le seul interdit exigé par Dieu est de ne surtout pas manger du fruit de cet arbre de la connaissance du bien et du mal.
Car par opposition à l’Arbre de Vie, également présent dans l’Eden, les fruits de l’arbre de la connaissance du bien et du mal donneraient la mort, c’est-à-dire la mort psychique (mort).
De quel ordre serait cette connaissance interdite du Bien et du Mal que désirerait l’homme et qui lui coûterait l’essentiel à savoir son âme, son être ?
Il semblerait que l’interdit résiderait pour l’homme à vouloir être l’égal des dieux, à déterminer par lui-même ce qui est bien ou mal, à être son propre système de référence. Ainsi il s’éloignerait d’une certaine innocence liée à une façon naturelle de vivre.
En suivant simplement ses pulsions naturelles l’homme serait plaisant à Dieu.
Et Dieu, dans ce texte sémitique d’origine akkadienne, incarne ou métaphorise en quelque sorte la loi naturelle. Cette loi amène la jouissance, certes de tous les biens terrestres, mais aussi et surtout de biens d’un autre ordre qui conditionneraient l’harmonie et la joie suprême.
C’est cette harmonie, c’est cette joie, qui font justement que l’on parle du Paradis terrestre et non pas d’autre chose comme, par exemple, l’enfer !
Être au Paradis c’est mener une vie simple et naturelle, source d’une joie immense.
Cette vie-là étant conditionnée par des occurrences psychiques elles-mêmes simples et naturelles.
Manger du fruit défendu c’est quitter cette vie simple et naturelle, pleine de béatitudes, pour s’élancer sur la voie des représentations inauthentiques, inobjectives et factices.
Manger la pomme du serpent c’est refuser l’harmonie pour choisir une vie complexe issue d’une activité mentale où les formations de désirs vont se substituer progressivement aux occurrences naturelles.
C’est la voie de la matérialité effrénée et des désirs débridés.
Voie qui aboutit irrémédiablement à la destruction des possibilités qu’avait l’homme, avant la chute, de jouir des biens permettant d’acquérir bonheur et sagesse.
Le choix de l’avoir, dès lors, invalide la possibilité d’être et précipite vers la sortie de l’Eden.
La voie du serpent induit donc un fonctionnement intellectuel vicié qui pousse l’homme à vouloir toujours plus, à désirer plus que son propre désir, à exploiter les ressources de la terre, à piller, spolier, détruire et asservir. La voie du serpent revient à ne plus être « à l’image de Dieu », comme le dit la Genèse, mais être « dieu » sur terre.
Il y a frénésie à maîtriser la matière, à contrôler le réel pour être comme des « dieux » et jouir sans modération des fruits de la Terre.
Mais c’est cela même qui sépare l’homme du projet initial conçu par « Dieu » ou par Zeus, si l’on fait une transposition prométhéenne.
Le projet conçu par la « divinité » représente en fait, métaphoriquement, dans la pensée mythique, la réalisation pour l’homme d’une conscience unitive, globalisante, harmonieuse et non fragmentée.
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Écrits en rapport :
– Prométhée ou le faux-pas de l’intellect.
– Lucifer.