Le Chaos est défini par le Robert comme « vide ou confusion existant avant la création », sorte de tohu-bohu originel et primitif. L’idée de Chaos est consubstantielle également à celle de désordre fondamental.
Hésiode le qualifie d’abîme béant et sans-limites d’où naissent Erèbe et Nyx ou Nuit noire.
Pour nous donner l’idée de chute ou d’effondrement dans les profondeurs abyssales de l’Erèbe ou du Tartare, Hésiode nous donne l’image d’une enclume qui, tombant de la surface de la Terre, mettrait neuf jours et neuf nuits pour atteindre le Tartare.
Et, à ce propos, il est intéressant de noter que la symbolique du chiffre neuf tourne autour de la création et du renouveau.
Ainsi, très vite, sont juxtaposées les idées de désordre primitif et fondamental préexistant à la création, d’effondrement vertigineux, de nuit noire et de renouveau cyclique.
La symbolique du Chaos, comme nous l’enseigne l’herméneutique, en fait une immense et éternelle réserve de forces dans laquelle Tout se résout et de laquelle Tout émerge.
Et de cette conception on peut imaginer, à la suite des rishis Indiens, que les mondes peuvent se résorber dans Chaos comme des zones d’univers peuvent se résorber dans un trou noir.
Et on retrouve cette notion en astrophysique d’effondrement de la matière, de gravitation époustouflante détruisant la structure même et de l’espace et du temps, de singularité, et ce juste avant le Big Bang ou création d’un nouvel univers recevant « conditions » ou caractéristiques physiques (théorie des multivers).
Juste avant un nouvel ordre… Ou du moins entre le temps 0 et le temps de Planck, il y a indifférenciation et de cette indifférenciation va jaillir un nouveau « possible ».
On retrouve cette symbolique de Chaos informe, sans limites, sans ordres, réserve de forces dans lesquelles se dissolvent les formes existantes avant que ne jaillissent de nouvelles formes, dans nombre de culture anciennes.
On a par exemple le Noun de l’ancienne Egypte, origine de toute choses, on peut penser également au Brahma du panthéon indien ou encore à cette entité de laquelle, en Chine, sortiront les quatre horizons.
Si l’on réfléchit aux aspects psychologiques de la question du Chaos, dans la perspective de la Genèse hésiodique, et de ce qui émerge à partir de lui, on ne peut être que frappé par la constellation Tartare ou Erèbe, Gaia, Eros.
Les deux premières entités terrestres, sont pour le moins infernales, et on l’a vu chaotiques.
Gaia « à la vaste poitrine » est déjà, certes, beaucoup plus apaisante.
Mais il ne nous a pas échappé qu’Éros est la « lumière » qui donne « l’ordre » en quelque sorte.
Et l’on retrouve, métaphoriquement, la « lumière » de la genèse hébraïque.
Car Gaia, sans Amour, sans Eros, c’est assurément Chaos.
La Terre/Mère sans amour représente la Totalité, le magma informe, sans règles, sans limites de l’état préexistant à la Conscience.
La conscience est ce qui met de l’ordre, des limites et des règles au magma, au tohu-bohu, de l’inconscience.
Et on peut même envisager que la mère sans l’amour, sans les soins adéquats, sans le holding, véritable générateur d’intégration, représente le chaos, l’impossible intégration des éléments perceptifs et psychiques.
Donc Éros est ce qui permet de sortir de Chaos, de se distancer de la désintégration pour aller vers l’intégration compatible avec les fonctions de pleine conscience.
Éros permet de passer de Chaos/Inconscience/Nyx à Ordre/Conscience/Jour.
Pour Hegel et à propos de la Phénoménologie de l’Esprit, mais sur le plan des cognitions plus que de la psyché, c’est l’ordre de la pensée, l’organisation discursive, le déploiement du discours qui fait passer de Chaos à Esprit.
Mais bien sûr les préalables sont nécessaires et ces préalables sont très certainement la capacité d’intégration par Amour ou du moins du fait de la permanence d’un objet primaire de bonne qualité.
Et ce déploiement de la pensée dans l’ordre discursif, cette progression des représentations fait évidemment penser à la suite des représentation qui figure, à chaque étape, cette décantation, cette purification, qui fait passer de Chaos à Esprit (Esprit dans le sens de la Phénoménologie de Hegel).
Oui, à chaque étape, à chaque dépérissement de la représentation ancienne, correspond le surgissement de la représentation nouvelle, l’émergence du monde nouveau.
Et l’on comprends les vers admirables d’Aristophane :
La Nuit aux ailes noires
Déposa un œuf né du vent
Dans le sein du sombre et profond Erèbe
Et tandis que passaient les saisons
Vint celui que tout attendait
L’Amour aux ailes d’or étincelantes.
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