Après avoir évoqué le « Tétragrammaton » nous allons revenir sur un certain rituel et sur la question du nom divin telle qu’elle se pose à partir de la pensée hébraïque, notamment kabbalistique. Il s’agit d’une antique Tradition reposant sur la conception d’un monde qui se créé par émanation à partir de l’Infini En Soph.
Les Séphiroth comme autant d’Arbres de Vie régissent ce système hiérarchisé allant de l’Infini au monde fini.
De Malkuth (le monde des apparences) à En Soph s’étagent neuf Séphiroth.
Du monde des apparences au Principe des principes.
Du monde spéculaire à celui de l’Être.
L’histoire raconte qu’au nom de Kether une porte s’ouvrit sur une voûte où resplendissait une lumière éblouissante, sur un piédestal cubique en marbre blanc figuraient les outils d’une certaine confrérie.
Sur cet autel était écrit en lettre d’or le Nom Adonaï, assimilé à « un vain symbole », qui représenterait sous la lumière aveuglante notre construction intellectuelle.
Le maître de cette légende retournant la pierre dit à ses disciples « vous êtes au centre de l’idée ».
Et les disciples épelèrent les lettres IOD, HE, VAU, HE. Lorsqu’ils ouvrirent la bouche pour prononcer le mot, le maître cria « Silence, c’est le nom ineffable qui ne doit sortir d’aucune lèvre ».
Par ce silence, d’Adonaï à IOD, HE, VAU, HE, on passe de l’attachement à la représentation à l’installation au Centre.
D’Adonaï à IOD, HE, VAU, HE on passe de l’idolâtrie à la Pensée.
Et ce faisant, à ce moment précis, le mot En Soph incidemment prononcé, une fameuse porte s’ouvrit et un souffle violent les renversa et éteignit toutes les lumières.
Ce n’est qu’au prix de grands efforts qu’ils parvinrent à refermer la porte mais se retrouvant dans l’obscurité la plus totale c’est en se prenant la main qu’ils purent vaincre leur effroi et retrouver leur chemin.
Adonaï, le vain symbole qui nous satisfait de nos « lumières », est un système de représentations qui nous voile cependant l’objet de la connaissance (Objet).
IOD, HE, VAU, HE est le nom ineffable ce qui signifie qu’avec lui il faut renoncer aux systèmes de représentations.
C’est ce renoncement qui appelle un Souffle puissant qui éteint les « lumières » laborieusement obtenues par notre attachement aux représentations.
Ce renoncement aux représentations évoque la règle des philosophes antiques de la suspension du jugement ou Epoché.
Cette Epoché des sceptiques fut reprise par les philosophes phénoménologistes et notamment Husserl.
Pour orienter notre jugement il faut modifier radicalement notre façon naturelle de regarder le monde.
Il faut être capable d’accomplir ce que Husserl nomme réduction phénoménologique et cesser de porter, projeter, constamment nos jugements sur l’Objet.
Ainsi l’Objet, sauf, de nos projections sur son être pourra être contemplé sans préjugé.
Par ce biais la Conscience nous est donnée, là, nous sommes au Centre de l’idée et non plus rivés, fixés, attachés, aliénés à l’idée.
Les stoïciens ont attiré notre attention sur ce qui nous est propre.
Quelle est la seule chose qui nous appartient ?
La seule chose qui nous appartient est l’Idée qui vient ici et maintenant.
Une idée vient…, elle est vraie disent les stoïciens.
Qu’est-ce qu’une idée vraie ?
Une idée vraie est une idée objective, répondent-ils. Qu’est-ce qu’une idée objective ?
Pour eux sont objectives les représentations qu’ils appelaient kataléptikai ou représentations « compréhensives » permettant de saisir la Réalité.
Ou encore est kataléptikai une représentation qui s’arrête strictement à ce qui est perçu sans rien ajouter.
Descartes propose le terme d’idées adventices pour caractériser une idée provenant de l’équipement neurobiologique par opposition aux idées « factices » créées par notre imagination que nous rajoutons sur les représentations ou idées objectives.
L’essentiel est de rester sur des suites de représentations objectives sans jamais rajouter autre chose.
Quel est cet autre chose qui dénaturerait ou contaminerait les représentations vraies ?
Pour eux il s’agirait d’une sorte de discours intérieur, issu de l’ego et de sa « folie » d’attachement, qui se grefferait sur les représentations. C’est cet ajout qui déformerait notre perception du réel ou de l’Objet, ce qui fait dire à Epictète : « Ce qui nous trouble, ce ne sont pas les choses, mais nos jugements [faux-discours] sur les choses ».
Et si nous reprenons la question d’Abraham et du sacrifice de son fils nous pouvons dire que si la représentation vraie est de l’ordre de l’Esprit, le rajout est de l’ordre de la chair.
—
Écrits en rapport :
– Le Nom….