Dionysos, dieu du vin et de la vigne, dieu du délire mystique, est originaire de la ville de Thèbes, il est le fils de Zeus et de Sémélé, princesse thébaine, fille de Cadmos et d’Harmonie.
Le « choix » de Thèbes pour l’irruption du dieu dans le monde grec interroge compte tenu de l’histoire particulière de cette ville sur le plan mythique.

Et le début du récit met en scène Zeus qui, déguisé en taureau, enlève Europe, fille d’Agénor, roi de Tyr ou de Sidon en Phénicie, se rend en Crète par la mer, s’unit à elle pour lui donner trois fils d’exception ; Minos, Sarpédon et Rhadamante.
Puis il s’arrange pour la marier à Astérion le roi de Crète.
Agénor demande à ses fils ; Cadmos, Phoenix et Cilix, les frères d’Europe, d’aller chercher leur sœur et de ne pas oser se représenter devant lui avant de l’avoir retrouvée.
Cadmos, las de ses recherches infructueuses, alla consulter l’oracle de Delphes qui lui conseilla d’oublier la demande paternelle et de fonder sa propre cité.
Pour se faire il n’aurait qu’à suivre une vache jusqu’au moment où elle s’effondrerait à terre, épuisée.
Conformément à l’oracle il aperçut une vache portant le signe de la lune sur les flancs qu’il suivit jusqu’à ce qu’elle s’affaisse en Béotie.

Et précisément, à cet emplacement, Cadmos décida de fonder la ville de Thèbes.
L’étymologie du nom de la ville en grec ancien Θήβαι Thēbai évoquerait l’idée de plusieurs portes ou parties et le mot grec θήβη évoque, quant à lui, plusieurs demeures.
De plus Thèbes est fondée par Cadmos probablement d’origine non grecque, peut-être phénicienne, ce qui donne à la ville, à la fois grecque, à la fois étrangère, cette impression de carrefour, d’ouverture, de portes, de synthèses mais aussi de luttes.
Et Cadmos, le fondateur, d’origine sémitique probable comme on l’a vu, aurait introduit en Grèce l’alphabet, donc l’écriture.
Et il est frappant que cette ville, liée à la naissance de l’écriture, se trouve être également le lieu même où va advenir la tragédie grecque, soit cette façon toute particulière de mise en scène du héros antique, jouet du destin, des déterminismes historiques, des répétitions, des malédictions, des souillures se succédant de génération en génération.

Et l’on ne peut s’empêcher, non plus, d’évoquer la Thèbes égyptienne et l’importance du culte solaire d’Amon-Rê.
Avec la Thèbes égyptienne on se trouve immergé dans le sacré, le mystère, l’initiation, le cycle des morts et des renaissances, la transcendance, bref tout ce que le culte dionysiaque va réactiver en Grèce.
Et curieusement on retrouve aussi bien dans la Thèbes grecques qu’en Egypte ancienne (Gizeh) une référence à la Sphinge comme gardienne du seuil, gardienne des portes, interrogeant le passant, soit directement soit pas son silence, sur l’« homme » ou plus exactement « qu’est-ce que l’homme ? » ou encore « quel est le mode d’emploi ? » ou « comment ça marche ? » ou « comment ça suit ? ».

Et dans cette façon d’interrogation on ne peut s’empêcher également de penser à un autre célèbre questionneur, athénien cette fois, qui lui aussi interpelle le passant sur ce qu’il « sait » ou pense savoir.
Quant à la fondation de Thèbes proprement dite elle va se dérouler dans une atmosphère particulière de transgression, de malédiction et de luttes d’une extrême violence.
En effet Cadmos ayant donc trouvé le site de la future ville de Thèbes, envoya ses compagnons chercher de l’eau à une source voisine afin d’offrir à Athéna un sacrifice de fondation. Or la source appartenant à Arès était gardée par un dragon menaçant que Cadmos tua.
A l’instigation d’Athéna Cadmos sema les dents du dragon et, aussitôt, sortirent de terre des hommes tout armés, les Spartoi, qui se combattirent. Seuls cinq de ces hommes survécurent au massacre, dont Echion, qui épousera une des filles de Cadmos, Agavé.

Le mythe met en avant le fait d’importance que la naissance de la civilisation, de la Cité, en l’occurrence Thèbes, est adossée à une transgression gravissime, transgression impliquant le dieu Arès, dieu de la guerre, dieu des passions, dieu des conflits.
Et la « source » qui est censée symboliser la connaissance et la pureté comme symboles fondateurs, originels, devient cause de conflits avec Arès et d’imprécations proférées à l’encontre des descendants du couple royal.
La Cité va devenir emblématique de conflits familiaux, de luttes à mort, de guerres fratricides.
La « source », est gardée par un « dragon » qui peut représenter des événements anciens ou plus exactement de très vieux conflits, les « dents », qui, réactualisés, semés, peuvent générer à nouveau de graves dissensions.
On se situe bien dans le registre de conflits périodiques, répétitifs, cycliques en lien avec des événements traumatiques non élaborés, non mentalisés.
Thèbes c’est la succession des fautes, des transgressions, des souillures, des « réparations » sanglantes alimentant le cercle infernal des vengeances. Dans ce contexte l’oracle de Delphes joue un rôle fondamental en révélant la faute ou le meurtre ou l’absence de sépulture de tel ou tel héros.
Et c’est là, dans cet univers-là, qu’apparait Dionysos, dans cet univers dramatiquement humain, univers tragique ou l’homme malgré sa volonté de bien faire et de respecter les lois, se trouve être le jouet de conflits ancestraux, transgénérationnels, pour finir par succomber à la pulsion de mort.

L’irruption de Dionysos à Thèbes est-elle posée comme une alternative aux dramatiques répétitions de la pulsion de mort, fait-elle écho aux fils d’Europe, Minos et Rhadamante, juges dans l’au-delà, a-t-elle particulièrement une portée eschatologique et par-là même nous ramène-t-elle à l’Egypte ancienne et à Osiris la divinité des morts et renaissances ?

En tout état de cause Cadmos devra effectuer huit années de servitude au service d’Arès en réparation du meurtre du dragon à la suite de quoi Arès donne sa fille Harmonie, née de ses amours illégitimes avec Aphrodite, à Cadmos.
Le nom d’Harmonie est pour le moins singulier quand on se penche un tant soit peu sur l’histoire terrible de la ville de Thèbes et, deuxième singularité, tous les dieux assistèrent au mariage de Cadmos et d’Harmonie ce qui en fait un événement de portée cosmique.

Il semble que symboliquement, se retrouvent là, la quintessence de ce qui oppose, de ce qui génère et luttes et guerres et conflits à savoir tout particulièrement l’opposition entre la culture (l’écrit) et la nature, entre la guerre (Arès) et l’amour (Aphrodite), entre les lois et la Loi (Antigone).
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Cycle Dionysos :
– Dionysos et ses fondamentaux mythiques.
– Dionysos et la ville de Thèbes.
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