Quand on évoque le nom d’Orion on arrive essentiellement à deux ordres d’idées ;
Le premier est la constellation dite d’Orion.
Le second fait référence à un personnage mythologique qui se trouve être, qui plus est, éponyme de la constellation en question.
Qu’est-ce que ce géant, et ses aventures, viendraient nous signifier ?
Nous allons évoquer tout d’abord le ou les mythes mettant en scène Orion en sachant que ce personnage recouvre en fait kyrielle d’autres héros, figures ou entités ayant marqué la région en des temps et en des lieux fort différents.
Et ces divers personnages détiennent eux-aussi des clefs permettant de parfaire les significations inhérentes à Orion.
Le premier texte faisant intervenir « Orion » est l’Iliade et il ne fait mention que de la constellation d’Orion.
Puis l’Odyssée évoque le personnage d’Orion uniquement en tant qu’amant d’Éos la déesse de l’aurore (ως).
En ce qui concerne la constellation d’Orion on peut dire qu’elle représente un groupe stellaire propre à l’été, en effet le lever héliaque d’Orion, en Grèce, coïncide plus ou moins avec le solstice d’été.
Le lever héliaque d’une constellation correspond au moment où elle devient visible à l’est, à l’aube.
Donc le lever d’Orion en Grèce correspond à la « belle saison », à la période faste des productions agricoles, période des moissons, mais aussi période des chaleurs excessives, de sécheresses dangereuses pour les récoltes comme pour les êtres vivants.
C’est donc une période ambivalente pleine de bienfaits, certes, mais inquiétante en raison des malheurs qu’elle pourrait aussi amener du fait d’un soleil excessif.
De par ce fait Orion semblerait donc incarner une sorte de héros ou de divinité solaire bénéfique en général mais potentiellement dangereux à certains moments de l’année.
La mort rituelle de ce type de personnage pouvant représenter une façon de se prévenir d’un soleil trop intense et par là d’éviter une période de sècheresse.
On peut assimiler à ce type de héros probablement Héraklès dans le monde grec et très certainement Samson dans le monde sémitique.
La mort d’Orion tué par Gaia, la Terre – Mère, pourrait donc avoir la signification du sacrifice d’un héros solaire afin de provoquer des pluies et de prémunir la terre, les récoltes, les bêtes et les hommes d’une ardeur solaire excessive.
Et la figure d’Orion apparaît bien souvent dans les mythes comme irrémédiablement frappée du sceau de l’excessivité.
L’épisode d’Orion amant d’Eos, la déesse de l’aurore (ως) peut confirmer le statut de héros solaire ou de divinité solaire d’Orion. Ce qui consolide l’interprétation selon laquelle il pourrait être assimilé peu ou prou à Héraclès ou Samson.
D’ailleurs en ce qui concerne Héraclès on peut assimiler ses douze travaux au transit du soleil dans les douze signes du mandala que représente le Zodiaque.
En ce qui concerne sa généalogie Orion serait, selon certaines interprétations, le fils de Poséidon et d’Euryalé, une fille de Minos, selon d’autres versions il serait le fils d’Hyriée également fils de Poséidon.
Mais des interprétations tardives font de ce Hyriée, père d’Orion, un vieux laboureur qui, âgé et n’ayant pas connu de femme, souhaitait avoir un fils.
Son désir fut exaucé un jour qu’il reçut la visite de Zeus, de Poséidon et d’Hermès, et qu’il tua un bœuf en l’honneur de ses hôtes prestigieux.
Pour le remercier de son hospitalité ces derniers déclarèrent vouloir exaucer un de ses vœux.
C’est ainsi qu’il demanda la possibilité d’avoir un fils sans passer par une femme.
Alors les dieux urinèrent sur la peau du bœuf sacrifié et demandèrent à Hyrieus de mettre la peau en terre et d’attendre neuf mois.
Selon d’autres versions les dieux couvrirent la peau non de leur urine mais de leur sperme.
Mais le nom de Orion venant de Ouron signifiant urine en grec conforterait la première thèse.
Et Orion, selon cette version, certes fils de Zeus ou de Poséidon, serait également un fils de la Terre au même titre que les autres Géants de la mythologie grecque.
Mais il est dit aussi qu’Orion est un géant, fils de Poséidon, qui, en tant que tel, a reçu de son père le pouvoir de marcher dans l’eau comme s’il était sur terre. En effet Orion pouvait avoir les pieds au fond de l’océan et néanmoins garder la tête hors de l’eau.
Il avait également la réputation d’être, outre d’une grande beauté, un chasseur exceptionnel, d’une adresse incomparable et il se vantait de pouvoir tuer tous les animaux de la création.
Orion ou Ouron, urine en grec ancien, l’évocation urinaire qui en découle, met en exergue certainement le caractère urétral du personnage avec l’esprit de compétition, l’ambition brûlante et l’excessivité retrouvée à tous les niveaux dans les mythèmes impliqués quand il s’agit d’Orion.
On est bien dans le registre de la toute-puissance et de la détention d’un pouvoir quasi illimité.
La fantasmatique urétrale dévoile aussi la problématique d’érosion, d’agression, de destruction par l’urine.
Et de plus il existe des liens symboliques forts entre la miction et le feu.
Il s’agit bien de se prémunir d’un phénomène naturel qui, s’il est dans des conditions habituelles bénéfique, devient dangereux dans des situations excessives.
Orion évoque le feu, le feu solaire, le feu pulsionnel, le feu passionnel.
On retrouve de fait l’antinomie symbolique classique entre l’eau et le feu et il a été dit que l’homme ne peut pisser et jouir en même temps.
Certains ont rapporté que lors de la conquête du feu le plaisir des hommes de pisser sur les braises de leur jet puissant était proscrit.
Comme si le feu du « puissant » appareil génito-urinaire utilisé pour éteindre le feu si durement dompté pouvait, par l’ambition démesurée, « blesser » la susceptibilité d’un phénomène naturel si convoité !
Orion est un Géant fils de la Terre-Mère et, en tant que tel, l’excessivité du personnage se retrouve déjà indiquée dans sa taille colossale.
Les Géants dans la mythologie grecque ont toujours incarné des êtres dotés de certaines caractéristiques que l’on retrouve pleinement chez Orion, du moins chez le Orion le plus archaïque. Par exemple les géants Otos et Ephialtès sont deux jumeaux d’une prétention incommensurable et en ce sens ils sont pathognomoniques du stade urétral.
Leur nom τος κα φιάτης signifie ; « oiseaux et cauchemars » et ils sont fils, comme Orion, de Poséidon, et comme Orion ils sont dits d’une grande beauté, et tout comme Orion ils jettent leur dévolu sur Artémis, ce qui fait beaucoup de points communs.
Notons en passant que incubus signifie cauchemar en latin.
Rappelons que les incubes sont des démons masculins supposés abuser des femmes pendant leur sommeil et que la plante magique pour éviter les cauchemars à caractère sexuel ou érotique a bizarrement le nom d’éphialtion.
Mais revenons à nos jumeaux.
Dans un paroxysme de volonté de puissance, ils partent à la conquête du Ciel, de l’Olympe, de Zeus.
Pour cela ils mettent le mont Pélion sur le mont Ossa qu’ils veulent escalader jusqu’à l’Olympe.
Zeus les foudroie et ils sont punis dans les enfers d’un supplice sans fin consistant à les attacher à une colonne, liés qu’ils sont par des serpents, et soumis aux cris incessants d’une chouette.
La chouette symbolise la sagesse puisqu’elle est vouée à la déesse de la sagesse, c’est-à-direAthéna.
Manifestement ils sont punis pour leur démesure, leur hybris, bref leur manque évident de pondération et de sagesse.
Mais l’oiseau, qui symbolise généralement le phallus, est sublimé en chouette ce qui montre bien ce que recouvre l’excès de domination et de prétention et la volonté de s’ascensionner jusqu’à l’Olympe.
L’élévation est toujours un symbole à double lecture.
Il est indéniable que les Géants, dont Orion, sont punis pour leur excès génésiques et pour ne pas avoir mis leur force vitale au service de la sagesse.
Les géants ont toujours incarné les excès, l’hypersexualité, l’agressivité, la volonté de puissance et la chute finale.
On pourrait rapprocher le mythe du Géant de celui du Surhomme. Le Géant représente tout ce que l’homme doit vaincre pour libérer et épanouir sa personnalité.
On retrouve ce parallèle dans la pensée sémitique avec David terrassant le géant Goliath.
Orion épouse Sidé qui veut dire grenade en grec.
Apollodore nous raconte qu’ « Orion épousa d’abord Sidé, qu’Héra projeta dans la demeure d’Hadès parce qu’elle rivalisait avec elle en beauté. » (Apollodore Bibliothèque I, 4.3).
Sidé, la première femme d’Orion, fait acte d’une telle prétention, d’une telle démesure, qu’elle est jetée dans l’Hadès par Héra blessée.
Donc Orion est uni à une femme qui est projetée dans les Enfers un peu à la façon de Perséphone (Proserpine).
Et cette même Perséphone racontera à sa mère, Déméter, comment le roi des Enfers, Hadès, lui fit « manger à la dérobée des grains de grenade, douce nourriture… »
Ce passage contenu dans l’Hymne Homérique à Déméter évoque cette croyance selon laquelle la consommation de la grenade et plus exactement des pépins de grenade était susceptible de condamner aux Enfers.
Ainsi la grenade, dont la symbolique générale est lié à la fécondité, se double d’une signification supplémentaire de l’ordre de la « faute » ou du « péché » qui voue l’âme aux Enfers.
En tout état de cause le fait que Perséphone ait mangé de la grenade tendue par Hadès fait que sa liberté ne peut redevenir totale à la suite de l’intercession de Zeus puisqu’elle est obligée de revenir dans les Enfers le tiers de l’année.
Orion uni à Sidé, Grenade, se trouve de ce fait assimilé au monde souterrain, au monde infernal, et par métaphore, au monde de l’Inconscient.
Le Géant, de par son excessivité, sa démesure et son hybris, est symboliquement situé du côté des forces obscures de l’inconscience.
On peut rajouter que la grenade, symboliquement, est le fruit dont la consommation a la particularité de maintenir dans les enfers, c’est-à-dire dans le pays des morts. Et la consommation de ce fruit, symbole majeur de fécondité, comme on l’a vu plus haut, était interdite aux initiés pendant les grands Mystères d’Eleusis parce qu’elle avait la réputation de faire descendre les âmes dans la chair1.
On voit là le glissement symbolique de « être enfermé en Hadès » à « être enfermé dans le corps ».
Si l’on continue à suivre Apollodore (Bibliothèque I, 4.3) Orion « se rendit à Chios et il demanda en mariage Méropé, la fille d’Oenopion ».
Mais d’autres versions existent et selon certaines Orion gagne bien l’île de Chios et y tombe amoureux de Méropé.
Un jour qu’il s’était enivré, il aurait violé Méropé mais selon d’autres versions Oenopion aurait promis la main de sa fille à Orion si ce dernier débarrassait l’île des dangereuses bêtes sauvages qui l’infestait.
Ce que fit Orion mais Oenopion différait sans cesse le moment de tenir sa promesse tant et si bien, qu’une nuit, Orion, ivre, fit irruption dans la chambre de Méropé et la viola séance tenante.
Dans d’autres versions encore Orion s’éprend de la fille du roi de Chios et par amour pour elle il débarrasse l’île de tous ses animaux sauvages.
Mais quel que soit le scénario, après la violence faite à sa fille Oenopion aurait fait appel à son père, qui n’était autre que Dionysos, lequel aurait envoyé des satyres pour l’aveugler. Ou, l’imagination des poètes est fertile, Dionysos aurait provoqué chez Orion un sommeil profond ce qui aurait permis à Oenopion de lui crever les yeux et de le jeter hors de son pays.
De nouveau deux caractères essentiels d’Orion sont mis en évidence ; sa violence brutale, génésique et non socialisée ainsi que ses exceptionnels talents de chasseur mais qui, si déréglés, en font un prédateur de la faune.
Et la surabondante activité sexuelle rejoint l’exorbitante ardeur solaire évoquée au début de l’exposé.
La violence sexuelle entraîne comme châtiment l’aveuglement d’Orion, équivalent de la castration, comme cela est retrouvé dans nombre de mythes et notamment dans la tragédie de Sophocle intitulée Œdipe-Roi.
Cet aspect de mutilation peut nous faire évoquer les roi-sacrés de la protohistoire et leur sacrifice survenant à un certain moment du règne.
Mais l’aveuglement peut vouloir signifier aussi qu’Orion se retrouve, du fait de la perte de vision, dans le monde de l’obscurité et donc de l’inconscience ce qui nous ramène à ce qui a été énoncé plus haut.
L’intervention de Dionysos peut faire penser aux drames inhérents à ceux qui ne reconnaissent pas le culte de Dionysos comme cela est relaté constamment dans les mythes antiques et particulièrement chez Euripide dans sa tragédie intitulée Les Bacchantes.
Autrement dit l’excessivité, la violence, la folie deviennent l’apanage de ceux qui refusent Dionysos tandis que l’harmonie, la joie communicative et le plaisir partagé se retrouvent être le lot de ceux qui ont accepté son culte.
Orion est donc « aveugle » mais un oracle prédit qu’il retrouvera la vue à la condition de se rendre à l’est vers les rayons du soleil levant.
C’est ainsi qu’Orion se rend sur l’île de Lemnos où Héphaïstos, pris de pitié, lui donne pour guide Cédalion.
On sait qu’Héphaïstos tomba sur l’île de Lemnos après que Zeus l’eut jeté hors de l’Olympe après qu’il eut pris le parti de sa mère, Héra, dans un conflit qui opposait cette dernière à Zeus.
Il est fort intéressant de noter par ailleurs qu’Héphaïstos devient boiteux à la suite de cette chute ce qui l’assimile peu ou prou à Œdipe (Oedipous). Et on ne pourra non plus s’empêcher de penser qu’Orion est puni en étant piqué au talon par un scorpion comme nous le verrons un peu plus tard.
Mais revenons à l’île de Lemnos qui, semblerait-il, était un lieu très avancé dans le domaine de la métallurgie.
Cet aspect rapproche Orion de ce type d’activité et d’autres acteurs mythiques d’importance dans ce domaine à savoir les Cyclopes.
Ces derniers, fils de Poséidon comme Orion, avaient un seul œil au milieu du front et ils représentaient une force brutale qui avait été mise au service de Zeus. Leur œil unique semble avoir marqué leur manque de perspective, un aspect restreint et sommaire de l’intelligence, un refus des nuances et des équilibres ce qui explique qu’ils furent détruit par Apollon, le dieu grec de l’harmonie.
Est-ce que l’intense feu cyclopéen des forges et de la métallurgie et du progrès technique, représentait déjà, pour la pensée mythique, un danger pour la Terre, pour Gaïa ?
Mais le travail de la métallurgie, le travail de la mine, tout cela est en lien avec des Mystères célèbres, n’oublions pas que l’île de Samothrace n’est guère très loin puisque les Argonautes y font un détour, depuis l’île de Lemnos, pour y être initiés.
Et c’est ainsi que Cédalion, juché sur les épaules d’Orion, dirige ce dernier vers l’est, vers les rayons du soleil, vers la lumière qui effectivement va guérir la cécité de notre héros.
La lumière ou la « prise » de lumière est « salvatrice » pour Orion.
Ce qui peut nous faire penser que l’on est toujours dans le registre des initiations et que la prise de lumière fait « passer » des franges obscures de l’inconscience ayant pour conséquence des agirs violents et outranciers, au monde de la clarté et de l’harmonie générateur de comportements adaptés, socialisés, éthiques.
Rappelons qu’Orion est un fils de Poséidon, « époux de l’idée », mari de la Néréide Amphitrite, divinité des profondeurs marines comme toutes les Néréides. Poséidon préside donc à quelque chose de l’ordre du passage des idées des profondeurs obscures de l’inconscience à la clarté plus ou moins lumineuse de la conscience.
Mais il s’avère que ce passage est incomplet, fragmentaire, médiocre au plan qualitatif, comme l’atteste le nombre de personnages problématiques ayant eu Poséidon pour père.
Il manque quelque chose dans le processus et ce quelque chose est certainement représenté par la dimension apollinienne qui, elle, assurément, indique une prise de lumière moins faiblarde que la précédente, donc plus stable et surtout plus harmonieuse.
Et il ne faut pas oublier non plus l’apport de la dimension dionysiaque qui va compléter le précédent.
Delphes, il faut s’en souvenir, sera lieu de culte des deux divinités.
Le culte de Dionysos avec le rappel des sacrifices de la protohistoire réintroduit l’importance de la fête avec le contrôle de ce qu’elle pourrait avoir d’excessif et dans la perspective de la création d’un héros, non plus balloté par le destin, non plus soumis à la démesure et à l’hybris, mais prenant en main les rênes de sa destinée en toute conscience.
Le sacrifice s’intériorise, il devient travail intérieur, travail psychique, il est avant tout « sacrifice » de la représentation ou de l’idée « volitionnelle » ou de « désir ».
Et c’est le « sacrifice » de l’idée en tant que « désir » qui amène à une notion extrêmement importante et excessivement féconde dans les philosophies extrême-orientales à savoir la question du « non-désir ».
Le désir flirte avec la question de l’Œdipe de la tragédie de Sophocle (Œdipe-roi), englué qu’il est dans les rets de la position du fils à l’égard de l’objet primaire, donc de la mère, même et surtout s’il n’en est absolument pas conscient.
Le « non-désir » obtenu par la lente décantation – métaphorisation de la fonction symbolique est un désir adapté à la totalité du réel, donc à la Réalité, c’est un désir conforme aux pulsions d’autoconservation, bref ce désir correspond à ce que nous nommons Désir.
Une fois sa vue retrouvée Orion n’a qu’une idée en tête ; retrouver Oinopion et se venger de lui.
Orion retourne donc à l’île de Chios mais il ne peut retrouver son ennemi, ce dernier s’étant enfui.
Il part alors en Crète, oublie Oinopion, et c’est là qu’il est décrit comme passant son temps à tuer des animaux sauvages en compagnie d’Artémis et de Léto.
Un jour il se vante de pouvoir tuer tout animal sur terre.
Alors Gaïa, la déesse Terre, envoie un scorpion qui le pique au talon et le tue.
Les mythes sont têtus et on a là une répétition de la présentation d’Orion comme un être d’une extrême violence, excellent chasseur certes, mais dont l’extrême brutalité peut en faire un danger pour le règne animal, ce qui est absolument inacceptable pour la déesse Terre, mère des êtres vivants, nommée Gaïa.
A la demande d’Artémis et de Léto (mère d’Artémis et d’Apollon) Zeus place Orion dans le ciel ainsi que le scorpion responsable de l’événement.
Et c’est ainsi qu’Orion devint une Constellation, poursuivant sa course, revêtu d’une peau de lion (comme Héraclès), avec sa ceinture, et armé de son épée et de sa lance.
Dans d’autres versions le scorpion attaque Léto et Orion intervient au péril de sa vie et meurt.
Dans une autre version, et c’est une des plus populaire, Orion tente de violer Artémis et c’est elle qui envoie le scorpion pour le tuer ou qui le tue d’une flèche.
Une autre version encore nous dit qu’Apollon, jaloux de voir sa sœur jumelle Artémis amoureuse d’Orion, décoche une flèche à ce dernier.
Et encore une autre version nous dit qu’Orion s’en prend à la vierge Opis et qu’il est puni de la même façon.
Et puis on retrouve la version des amours d’Orion avec Eos celle qui déclencha la colère des dieux, qui vivent comme une abomination la liaison de déesses avec des amants mortels, et qui mandatèrent Artémis de laver cet affront.
Mais il fut dit aussi qu’Artémis tua Orion qui avait osé choisir la compagnie d’Eos à la sienne.
Et c’est aussi dans le registre de cette version qu’Apollon, paniqué de voir sa sœur amoureuse d’Orion, fit en sorte que cette dernière le tue involontairement en lui décochant une flèche.
On est à ce niveau en double secteur avec une représentation d’Orion toujours affublé de ses caractéristiques de brutalité, de violence, de primarité, de dysharmonie et une autre qui serait idéalisée avec un Orion qui, à l’image d’Héraclès, se trouve divinisé, placé dans le ciel.
Et la comparaison avec Héraclès est intéressante dans la mesure où lui-même est parfois imprévisible et capable d’actes insensés mais il sera finalement « sauvé » par Zeus, purifié et admis parmi les dieux dans l’Olympe.
Un mot peut-être sur le scorpion qui pique Orion au talon. La piqure au talon évoque Talos qui meurt d’une blessure infligée à son pied et qui touche une veine, zone de fragilité pour cet être de bronze.
On est dans le registre des Géants, des hommes de bronze, violents, qui n’aspirent qu’à faire la guerre.
Et il faut rajouter que Talos est donné, selon certaines interprétations, comme le père d’Héphaïstos et selon d’autres encore comme le fils de Oinopion.
En tout état de cause Talos, qu’il soit robot de bronze ou fils du Crès de la légende crétoise, est lié dans les mythes à Oinopion et à Héphaïstos.
Quant au scorpion il évoque, certes, le venin, la vengeance et la justice venant de la Terre, donc des divinités chtoniennes.
Il marque le moment du passage d’un paradigme, celui du Géant, de l’homme de bronze, du guerrier violent et sanguinaire abusant des femmes, à celui de l’homme accompli, de l’homme « réalisé ».
Il y a une sorte de « mue », de sortie, d’une zone psychique caractérisée par l’expression de la toute-puissance des forces de l’Imaginaire et donc des processus primaires vers un état de stabilisation par l’installation en la fonction symbolique régie par les processus secondaires.
Et en effet quelle peut être la signification du Orion qui chasse avec Artémis ?
Pourquoi l’activité de chasse est-elle, à ce point, mise en exergue ?
L’interprétation évidente, au vue du contexte et de ce qui est suggéré, pourrait être que le fait de chasser, en ce qui concerne Orion en tout cas, est en rapport avec une activité sexuelle frénétique.
Et le fait qu’il chasse avec Artémis, dont on sait qu’elle était entourée de vierges ayant renoncé peu ou prou à la sexualité, dont on sait également que les conflits prévalents qu’elle eut avec Orion étaient en lien avec des épisodes de séduction envers elle-même ou envers ses protégées, nous conforte indirectement dans cette hypothèse.
Indirectement, car l’Artémis de ce moment-là, qui apparaît dans les mythes de cette époque-là, est en correspondance avec une Artémis récente presque classique et qui n’a rien à voir avec une Artémis beaucoup plus ancienne, beaucoup plus archaïque, et qui, elle, correspondrait plutôt à l’Artémis d’Ephèse, déesse de la fertilité, déesse de la prostitution sacrée, déesse de la promotion du désir sexuel au service de la reproduction.
Il semble donc que les mythes mettant en scène Orion correspondent de fait à des périodes différentes et l’Artémis rencontrée dans ces mythes est devenue l’exact contraire de l’Artémis archaïque, Artémis d’Ephèse.
Ainsi l’activité sexuelle d’Orion avec Artémis et ses protégées correspond à une époque ancienne au cours de laquelle la sexualité était très investie. Mais dans les mythes plus tardifs il y a une sorte de renversement des valeurs, d’inversion, et Artémis ne correspond plus à la déesse orientale mais à la déesse d’une période bien plus tardive.
La déesse qui symbolisait l’importance de la sexualité est devenue le contraire soit une déesse qui incarne la virginité et pour ses suivantes, pour un temps du moins, le renoncement à la vie sexuelle.
La vierge divinisée de l’époque grecque classique ou presque ne correspond plus à la déesse des temps anciens qui personnifiait l’aspect sauvage de la nature dans toute son exubérance.
Et en tant que déesse de la fertilité elle se devait d’encourager la conception et l’enfantement.
Elle n’apparaît à aucun moment comme une divinité du mariage, rôle plutôt dévolu à Héra, mais plutôt comme une divinité de l’amour physique, se confondant en cela avec Aphrodite, et ses temples étaient consacrés à la défloration et à la prostitution sacrée.
On disait d’elle qu’elle se livrait à l’amour sans retenue, ou que hors de son palais elle se promenait nue ainsi que ses suivantes.
Et cette nudité représentait bien sûr cette dimension érotique et sexuelle mais aussi un aspect bien plus profond, bien plus abstrait, la vérité.
Aletheia, le mot grec pour vérité, signifie littéralement « ce qui n’est pas caché », ce qui est nu, ce qui n’est pas voilé.
Et donc ce corps féminin, qu’incarne la divinité, représente à la fois la femme désirable, véritable Objet du Désir, mais aussi la porte de la connaissance, la vérité, l’Objet de la Connaissance !
Et lorsqu’elle vue nue par Actéon, le chasseur, qui se promène avec ses chiens, il est dit classiquement dans les mythes que ce dernier fut « transformé en cerf » et dévoré par ses chiens qui ne le reconnaissaient plus.
Mais l’expression populaire « être transformé en cerf » ou se « déguiser en cerf » fait référence à l’obtention d’une forte érection.
Et là les interprétations divergent selon la nature de l’Artémis en question.
Est-elle la vierge farouche qui devient folle de rage d’être surprise nue par un homme qui manifeste à ce point son désir et qui doit impérativement, de ce fait, payer de sa vie, en étant déchiqueté par ses chiens, un tel outrage, une telle atteinte à sa divinité, un tel manque de respect ?
Ou bien est-ce l’Artémis qui initie les jeunes filles non mariées à la vie sexuelle et, dans ce contexte-là, Actéon représente simplement l’homme, le chasseur, prêt à honorer la déesse ?
Certains ont même pu imaginer que la colère de l’Artémis initiatrice, formatrice, était lié au fait qu’Actéon n’avait pas pu honorer la déesse du fait de la culpabilité, et des chiens intérieurs de l’inhibition et des interdits.
On assiste bien, une fois de plus, à un renversement interprétatif du mythe où l’interprétation donnée, convenue, claire nette et précise, s’avère à l’analyse signifier tout le contraire.
En conclusion le ou les mythes mettant en scène Orion nous montrent un être tout-puissant par sa taille, par sa force, par l’insatiabilité de ses désirs, par sa démesure, représenté tout à la fois dans le cours des temps mythiques par les Géants, peut-être même par les Titans, par les divinités solaires (Héraclès), par les rois-sacrés œdipiens (roi-sacrés de la protohistoire, mais aussi Héphaïstos et Œdipe comme boiteux célèbres), par les hommes de la race de bronze, dont Talos, et leur appétit guerrier et sanguinaire.
Mais ces hommes gigantesques, hyper-matériels, sont également captifs d’une mère toute-puissante, d’une mère phallique.
Ils sont, dans leur toute-puissance infantile représentatifs du phallus maternel, ils sont le phallus maternel.
Et c’est en ce sens, en ce qui concerne les roi-sacrés, qu’ils étaient justement sacrifiés à la fin de leur mandat pour permettre à la Terre-Mère de régénérer le vivant, de permettre le renouvellement de la nature, des récoltes, du bétail et des hommes.
Mais l’heure est venue de reprendre leur destin en main, de sortir de la tragédie, de n’être plus phallus d’une entité aliénante mais de fonctionner librement, en toute conscience, sans être « agis » par des forces incontrôlées.
Il s’agit pour eux de ne plus être phallus de qui que ce soit mais d’accéder véritablement à une fonction phallique non plus prégénitale et débridée mais intégrée à la génitalité, génitalité qui est la marque par excellence d’une personnalité unifiée.
Mais où se situe, au plan mythique, le passage de l’être colossal doté d’une moralité indigente à l’homme mesuré, harmonieux, conscient de ses limites, ayant renoncé à l’asservissement de l’autre ?
Est-ce le phénomène de l’initiation avec la « prise de lumière » supposant l’entrée dans l’ordre symbolique comme on a pu le voir à propos des Mystères de Samothrace ?
Est-ce lié à l’intervention des puissances chtoniennes qui réagissent à la démesure, aux méfaits et aux blessures infligés à l’autre ainsi qu’aux dangers que représentent de tels êtres pour le bien commun ?
Est-ce de l’ordre du châtiment à l’image du grand Prométhée lui-même puni et enchaîné sur le mont Caucase par Zeus qui lui reprochait d’avoir dévoyé l’humanité ?
En tout état de cause Orion semble bien représenter, à travers les péripéties de sa vie, le passage des franges Imaginaires du fonctionnement psychique à l’installation en l’ordre Symbolique.
Il symbolise la sortie de la captation imaginaire, on pourrait dire de l’orbe lunaire, pour, une fois affranchi, évoluer sous les auspices de la dimension solaire, apollinienne, de l’existence.
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1. Dictionnaire des Symboles – Chevalier Jean et Alain Gheerbrant
Robert Laffont/Jupiter – Grenade p. 485.
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